La question de la pauvreté

Dans les entretiens qui suivirent, Paul évoqua ses expériences professionnelles à l’étranger (l’école du cirque), et le fait que, durant cette période, il était devenu dépressif à cause d’une rupture affective. Il n’en dit pas plus sur l’aspect affectif, et je ne suis pas intervenue, préférant le laissant poursuivre.

J’apprends que son état dépressif fut la cause de la démission de son travail, démission qui le fit revenir dans sa famille, dans un désir dit-il de se rapprocher des siens. Il parla ensuite de sa mère qui, elle aussi était au Rmi.

Dans l’après-coup, je réalise le point commun entre la mère et le fils : tous les deux sont dans une situation précaire, tous les deux dépendent des institutions sociales, et en revenant vivre sous le toit familial, Paul se met dans la position psychique de celui qui n’a rien, comme sa mère n’a rien elle non plus.

En perdant l’amour de son amie, il n’a pas pu intégrer la perte, perte qu’il devra actualiser en quittant son travail ce qui a eu pour conséquence la perte d’argent.

Est-ce à dire qu’il ne pouvait revenir chez sa mère qu’en vivant psychiquement une perte impossible à élaborer, qu’il ne pouvait établir un lien avec cette mère, qu’en étant dans la béance d’un manque impossible à psychiser. Il y a ici un point nodal dans l’histoire du sujet.

Paul enchaîna sur la pauvreté.  Quand il était pensionnaire, durant ses études secondaires, sa mère, ne pouvait pas payer sa pension, malgré l’argent que le père versait pour l’éducation de ses enfants. Paul précisa que son ex beau-père ne participait pas financièrement aux besoins des enfants de sa mère. Il dit à ce moment de l’entretien : « quand on est pauvre, il faut être gentil», comportement qu’il adopta au pensionnat. Nous pouvons nous interroger sur cette pauvreté dont parle Paul, alors que son père avait une situation correcte, et que son beau-père était professeur faisant de la coopération. Nous sommes loin des personnages de Zola, et pourtant il n’y avait pas suffisamment d’argent.

Qu’en était-il des liens avec sa mère et son second mari pour que celui-ci ne participe pas à la famille ?

Je n’en ai jamais rien su n’ayant jamais posé la question à Paul, car cela aurait été de ma part une curiosité due à ma recherche, et je ne pouvais me l’autoriser car non seulement j’aurai mené l’entretien d’après mon centre d’intérêt, mais j’aurai également perdu le sens de ma pratique professionnelle.

Je voudrais revenir sur les paroles dites par le sujet : la pauvreté équivalant à l’adoption d’un comportement factice pour être redevable au groupe social. Nous avons affaire à une sorte de faux self social, mis en place par le sujet, pour ne pas être en dette, par rapport au groupe majoritaire.

Paul poursuivit son discours en disant : «  qu’il méprisait l’argent. » A ce moment précis de l’entretien je rappelle à Paul, qu’il était au Rmi, et que sa situation de pauvreté n’avait pas changé. En intervenant de cette façon, j’ai eu le sentiment d’une sorte de quitte ou double, j’entends par-là que Paul pouvait vivre monintervention comme une agression ou qu’il pouvait entendre le lien entre son passé, et sa situation actuelle.

Je lui soulignais ce qu’il avait toujours connu, c’est-à-dire le peu d’argent, et le fait, qu’aujourd’hui il restait dans une position psychique de dépendance par rapport aux institutions sociales en touchant le Rmi. Il montra sa surprise en me disant : « oui, c’est vrai. »

Dans la réalité sociale, Paul n’avait fait que perpétuer ce qu’il avait vécu dans son enfance, ce qui lui permettait de se maintenir psychiquement dans ce que Kaës nomme la position idéologique c’est-à-dire :

‘«  De réduction de l’activité fantasmatique et d’écrasement des places différentielles assignées à chacun. »74

Notes
74.

Kaës R, L’appareil psychique groupal, p. 208