La problématique de l’alcool

Au cours du troisième entretien, j’abordais la possibilité pour Paul, de pouvoir bénéficier dans le cadre du Rmi, de formations qualifiantes, il répondit par : « le plus important pour moi à l’heure actuelle c’est : «  mes dents et l’alcool. » 

Je ne m’attendais pas à être dépositaire de paroles aussi lourdes. Paul me ramenait à sa propre intériorité psychique, il énonçait sans détour sa problématique avec l’alcool.

La sidération et le malaise m’envahirent à ce moment là,  sidération d’une telle annonce, malaise qu’il me rappelle d’une certaine manière ma fonction de psychologue.

J’étais prise dans le nouage d’une réalité sociale, et d’une réalité psychique où la position psychique d’être sur le fil est toujours à reconstruire. J’étais renvoyée à mon cadre interne qui avait été défaillant par l’effet de sidération que j’avais ressenti.

Devant la problématique d’alcoolisation énoncée par Paul, il nous a paru signifiant de lui dire que j’avais perçu ce qui était important pour lui. Mon attitude a permis à Paul de parler de sa consommation d’alcool, consommation qui n’était pas quotidienne mais par phases.

Il éprouvait le besoin : « de faire l’apéritif une à deux fois par semaine dans les bars pour être éméché. » Paul poursuivit en disant qu’il n’aimait pas son comportement car cela : « me coûte de l’argent, et puis je culpabilise, c’est peut-être de famille car mon père, avait la réputation d’être un buveur, et un homme violent. »

Dans l’énonciation de Paul, argent et alcool sont psychiquement liés, dans un sentiment de culpabilité. Le besoin physique de l’alcool vient mettre en acte, l’impossible élaboration de la représentation psychique du manque et donc de la perte. Celle-ci renvoie à une autre perte, celle de l’argent, perte nécessaire pour l’acquisition du produit. Le « ça me coûte de l’argent », pourrait être entendu par un ça me coûte au sens du coup réel, et du coût psychique, comme impossible représentation psychique de l’absence de l’autre. Une fois de plus, l’absence est énoncée comme un élément majeur qui sous tend la problématique du sujet. Absence qui se comble dans une dépendance au produit et qui vient donner l’apparence d’une présence à soi même. Tel Narcisse qui ne rencontre pas le regard de l’autre qui lui certifierait sa présence au monde, et donc à soi-même, Paul a besoin de s’émécher en absorbant le liquide qui va provisoirement lui donner l’illusion d’un soi constitué. Dans l’alcoolisation collective du bar, Paul met en scène cette recherche du double pour échapper à la mêmeté qui, d’une certaine manière le renverrait à quelque chose de mortifère.

La culpabilité verbalisée n’est pas du côté du registre œdipien, elle renverrait à une culpabilité morale, et non génitale, culpabilité à mettre en lien avec son acte sacrificiel.

Nous pensons ici à ce qu’à pu dire Marguerite Duras sur la nécessité de l’alcool devant l’absence de dieu.

L’interdit de la castration, proféré par la voix céleste a été entendu par Abraham qui ne mit pas en acte la perte. Il a renoncé à tuer son fils car il a accepté la parole de Dieu c’est-à-dire d’être soumis à sa loi. Toute la symbolique de la loi du père, qui suppose la différenciation mère-enfant, et donc la question du tiers est ici posée. Paradoxalement, Paul met en scène la perte parce que psychiquement il ne l’a pas intériorisée.

L’argent est l’objet qu’il perd, et qu’il ne supporte pas de perdre mais il ne peut faire autrement, car il est l’objet, qui lui permet de retrouver l’autre illusoirement. Il y a ici un point nodal dans le discours du sujet.