Le père dans la psyché maternelle

Paul poursuivit sur son père, en disant que : «  sa mère l’avait toujours décrit comme quelqu’un ayant tous les défauts, et qu’elle l’avait toujours critiqué des années après son divorce, ils s’engueulaient quand ma mère venait me récupérer à la fin du week-end passé chez mon père, avec mes frères, et sœurs ».

Dans cette retranscription du regard que sa mère portait sur son ex mari, Paul n’a montré aucune émotion. Il a répété la parole maternelle sans aucun commentaire de sa part. Dans une sorte d’identification projective, au niveau contre-transférentiel, je m’attendais à ce que Paul défende son père, bref qu’il fasse comprendre à sa mère qu’elle parlait de son père en le dévalorisant. Dit d’une autre manière, je pouvais entendre la femme qui avait fait le choix de ne plus vivre avec son mari mais, mais je ne pouvais pas entendre cette même femme critiquer l’homme en tant que père.

Dans la psyché maternelle, l’autre est évoqué comme un sujet ayant tout par défaut, comme quelque chose qui fait défaut, donc qui manque. Je considère que la place du mari est à questionner dans la psyché maternelle, place qui renvoie au couple formé, et à la position psychique de Paul dans ce couple. J’évoquerais ce point dans l’analyse thématique en lien avec les points nodaux du discours.

Le père de Paul était cette figure du buveur, auquel il s’identifiait, pour opérer psychiquement une filiation, où il se reconnaissait comme étant son fils. Le : « c’est de famille », certifie cette nécessité de se relier à une imago paternelle exclue dans la psyché maternelle.

Paul poursuivit en disant : « j’ai découvert que mon père était un homme qui donnait des cours d’alphabétisation, qu’il adorait les fossiles et qu’il était un grand sportif. »

Devant ces paroles, je suis intervenue en suggérant à Paul qu’il était peut-être venu en Provence pour découvrir qui était son père, étant donné qu’il avait dit précédemment que sa famille paternelle vivait aussi en Provence. Paul réagit à mon intervention sur le registre dénégatif : « non peut-être, c’est un hasard, je n’avais pas cette idée. »

Quelque chose du refoulé ne pouvait advenir à la conscience,  il ne pouvait accepter l’idée d’aller à la recherche de ce père qu’il avait si peu connu, comme si d’une certaine manière, cet homme devait rester inconnu, pour psychiquement exister dans le lien à la mère.

Nous pensons ici à ce qu’Abraham Torok a énoncé sur le phénomène cryptique à propos de la difficulté à faire le deuil, dans le sens, d’avoir à effectuer la perte de l’objet, pour auto appréhender son absence.

Je fis ensuite remarquer à Paul, que lui aussi aimait s’occuper des autres, (il a fait du bénévolat comme son père), et qu’il buvait aussi comme lui. Paul réagit par un : « je n’y avais pas pensé. »

Je réalise dans l’après coup, qu’au cours du même entretien, j’étais intervenue pour mettre en lien le comportement de Paul avec ce qu’il disait de son père, intervention qui n’a pas été marquée par la dénégation du sujet.

Pourquoi une telle insistance de ma part, insistance qui aurait pu faire naître des résistances ou un comportement d’absence, de la part du sujet. ?

Cela m’a renvoyé au niveau contre transférentiel, à l’absence psychique de mon propre père, et à ma propre difficulté.  En insistant, je voulais que Paul entende là où j’avais moi-même eu tant de mal à entendre.

Paul dira que le jour de l’anniversaire de la mort de son père (jour qui était une semaine avant que nous le rencontrions en entretien), ses sœurs, lui, ainsi que sa mère étaient réunis sans que personne n’aborde le symbole de ce jour, jusqu’à ce que Paul le fasse et dise que : « cela n’a pas été triste, c’est une famille de tarés, ils sont tous fous, en analyse, c’était corsé ».

Paul exprimait pour la première fois ses affects, il énonçait tout haut la présence de l’absence du père. Je demandais à Paul ce qui l’entendait par « corsé ». Il précisa que personne n’avait voulu évoquer que ce jour là n’était pas un jour comme les autres, c’était le jour où le père de tous ses frères et sœurs était mort. Il poursuivit en disant que sa mère n’a rien dit, « elle a gardé le silence. »

J’écoutais Paul nous faire part d’une non parole de cette mère sur la mort de son ex mari.

Que signifiait ce silence pour cette femme ?

Il m’apparaît aujourd’hui qu’elle ne pouvait évoquer celui qui était le géniteur, celui avec qui elle avait fait des enfants car dans sa psyché il ne pouvait être nommé.

En effet, malgré la mésentente du couple, cette femme ne pouvait donner au père de ses enfants, la place qui était et qui est la sienne. Le nom, le jour, la présence, tout cela devait psychiquement ne pas avoir existé ;  dans la psyché maternelle l’homme n’avait pas sa place. Il se joue ici in point nodal, point que je développerai ultérieurement.

Paul poursuivit sur sa mère, et les reproches qu’elle lui signifiait : « quand je vais la voir, elle me dit que ce n’est pas le moment ou que je ne reste pas assez de temps ou alors trop. » 

Inconsciemment, sa mère lui dit que sa présence n’est pas la présence qu’elle voudrait ; temps et objet sont psychiquement liés dans une relation d’emprise, où Paul n’a qu’une solution, se soumettre à l’autre ou boire pour pouvoir s’imaginer un temps à lui qui lui donnerait l’illusion d’être un sujet. En surnommant Paul « l’absent », sa mère ne fait que dire dans cette énonciation, l’absence de son être mère dans cette relation, sorte d’identification projective, où elle signifie combien elle est absentée.

Paul, toujours au cours du même entretien, évoqua le fait qu’une de ses sœurs soit au Rmi, comme lui, et, que comme lui elle buvait. Je suis intervenue en lui signifiant qu’il avait peut être ressenti un effet miroir. Dans un premier temps, Paul fut dans une dénégation de ce qui venait d’être dit, puis lâcha un : « vous avez peut être raison ». Pour la première fois, il accepta mon intervention, il accepta que l’autre puisse exister psychiquement sans se sentir intrusé.

Il reconnut qu’en venant vivre en Provence, il était peut être à la recherche de son père, père qui avait été violent avec ses sœurs, lui n’ayant pratiquement pas vécu avec lui, il n’avait pas subi cette violence.

Dans l’évocation que fait Paul de son père il y a un mélange d’absence, d’admiration (homme décrit comme fort), et de questionnement sur une violence dont d’autres ont souffert. L’imago paternelle parait dans sa complexité impossible à conflictualiser ; elle est clivée dans une sorte de dichotomie présence-absence, méchant-gentil, il ne peut y avoir une imago suffisamment unifiée pour que le sujet puisse s’identifier, et ne pas être dans une imitation qui stigmatise la recherche d’un tiers.