B- Christine

Christine a été suivie, en entretien de soutien psychologique, pendant dix mois, à raison d’un entretien tous les quinze jours. Elle a toujours respecté le cadre proposé, arrivant presque toujours en avance (un bon quart d’heure), temps qu’elle mettait à profit pour discuter avec la secrétaire.

C’est durant notre travail de thèse que nous avons suivi Christine en entretien.

Christine a été choisie, parce ce que dès le premier entretien, elle a signifié ses problèmes avec la nourriture. Elle était une des rares bénéficiaires, qui exposait d’entrée de jeu une pathologie clinique, sans parler de sa condition d’être au Rmi.

Il nous a semblé important pour infirmer ou confirmer ma recherche, de retenir comme objet d’étude, une allocataire qui aurait pu être objet d’étude pour une autre recherche car l’obsession de la nourriture pour Christine a été le sujet récurrent de presque tous les entretiens. Dans l’après-coup, je réalise aujourd’hui que le choix de Christine n’était pas aussi anodin.

En effet, Christine comme Paul, a un problème lié à l’oralité. Cette manière lapidaire de lier le lien des deux sujets étudiés dans l’oralité ne signifie pas l’évincement de l’analyse de ce lien. Cela signifie qu’il ne s’agit pas, dans notre recherche, de traiter de la question de l’oralité dans l’histoire subjective des sujets.

Il s’agit de traiter ce quelque chose qui s’absorbe ou qui ne s’absorbe pas dans le lien avec l’argent et dans l’échange avec l’institution sociale.

Christine et Paul mettent en acte, et donnent à voir leur pathologie, pathologie qui s’inscrit socialement dans un autre lien de dépendance ; autre lien de dépendance qui est l’objet de notre recherche. 

Autrement dit, il ne s’agit pas de faire l’impasse sur la nature du symptôme chez ces sujets, mais mon travail ne consistera pas à traiter de l’étiologie de ce symptôme dans l’intrapsychique du sujet. Le symptôme sera traité dans le lien à l’argent, et à la dépendance institutionnelle donatrice de ce même argent. Cette articulation d’une symptomatologie à la scène sociale renvoie aux enjeux inconscients intrapsychiques et institutionnels. C’est cette articulation synonyme de la limite d’un dedans-dehors qui nous intéresse dans la relation à un objet chargé lui aussi des mêmes enjeux inconscients.

Christine est une jeune femme de vingt-neuf ans, issue d’un milieu social aisé.  Son père est ingénieur et sa mère est femme au foyer.

Elle est l’aînée, ayant un frère de vingt cinq ans, frère qui est lui aussi est au Rmi.

Après avoir eu un bac scientifique, elle décide de faire une école préparatoire, dans le but de devenir vétérinaire.

Elle interrompt son année préparatoire car elle avait des résultats très moyens et parce qu’elle était fatiguée par le rythme de travail trop intense.

Elle décide de rentrer à l’université pour préparer une maîtrise de physiologie végétale, maîtrise qu’elle obtiendra avec mention très bien (elle sera la première de sa promotion.)

Elle décide de poursuivre dans la recherche mais réalise, en se renseignant sur les débouchés possibles, qu’elle n’a aucune envie de travailler dans un laboratoire. Pour Christine, faire de la recherche, c’était « comme au dix neuvième siècle », aller sur le terrain pour observer et analyser.

Désorientée, Christine abandonne ses études à l’age de vingt-trois ans, et repart vivre chez ses parents. Elle se sent de plus en plus déprimée, sans but, se met à manger de moins en moins jusqu’à atteindre un poids critique qui met sa santé en danger. Christine se nourrira à nouveau grâce à sa mère.

Son état de santé s’étant amélioré, Christine décide d’aller séjourner dans une association où se pratiquaient différentes méthodes d’alimentation (herbivore, frugivore …) ainsi que des groupes de parole. Elle y restera pratiquement presque un an.

Christine décide de quitter ce lieu et retourne vivre chez ses parents qui viennent d’acquérir un mas, mas qui nécessite des travaux importants. Elle se lance à fond dans cette aventure de réfection, réfection qui durera deux à trois ans. Ce projet mobilisera toute la famille et deviendra selon Christine un projet commun, sorte de création d’un lieu particulier, ouvert à tous, à la réflexion, et aux débats en tous genres sur la nature, les aliments …

A l’age de vingt-six ans, elle demande le Rmi. Elle le percevait donc depuis trois ans quand nous l’avons rencontrée.

C’est sur l’orientation de sa référente sociale que j’ai reçu Christine.