Le rapport à la nourriture

Au cours des entretiens qui suivirent, Christine parla de : «  ses pensées qui reviennent par rapport à la nourriture », et de ses différentes activités qu’elle doit pratiquer chaque jour c’est-à-dire quatre heures de marche et une heure de sport pour dit-elle : « perdre du poids. »

Au niveau contre transférentiel, j’avais beau savoir que l’hyperactivité physique faisait partie d’un des comportements de la symptomatologie anorexique, je ne m’empêchais d’éprouver une réaction de rationalisation.

Pourquoi cet acharnement, alors que Christine n’avait aucun kilo à perdre si ce n’est à en prendre ?

Pourquoi cette réaction de ma part qui s’apparentait à une formation réactionnelle ?

J’étais aux prises entre la distorsion d’un discours non délirant, et la réalité biologique du sujet, réalité dont la minceur corporelle renvoyait à la mort.

Le silence fut la seule réponse possible au discours de Christine. Ce silence n’était pas pour moi renoncement, mais écoute bienveillante, pour lui permettre d’aller jusqu’au bout de sa déraison, sans qu’elle ne sente, le moindre jugement ou la moindre parole qui aurait tenu en échec ce qu’elle, Christine, ressentait au plus profond d’elle-même.

Christine continua sur la nourriture, et sur son aspect obsessionnel. Elle est disait-elle « toujours là », « je ne sais pas ce que je dois manger, si c’est trop ou pas assez, si ce que je vais manger est bon ou mauvais pour moi  »

Que disait-elle ? Que son corps psychique ne pouvait, ne savait pas si l’autre était bon ou mauvais, si la corporéisation de l’autre dans la nourriture était absorbable, si le trop de l’autre ou le pas assez était une limite qui pouvait définir ses propres limites corporelles ?

Que de questions que Christine posait, sans pouvoir entrevoir cet autre, trop près ou trop loin, trop absent ou trop présent, mais qui n’avait pas pu être cet autre qui transforme l’angoisse pour qu’elle soit supportable et refoulée.

Son corps n’était pas vécu comme un espace contenant, capable de transformer l’objet partiel en un objet suffisamment bon pour pouvoir être accepté à l’intérieur d’elle-même, sans qu’elle se pose la question de l’appartenance de son corps. Au fond, elle ne savait pas si elle était propriétaire de son corps qui, selon B.Duez, est la première acquisition c’est-à-dire l'autochtonie corporelle.

Il se joue ici un point nodal, point que nous soumettrons à l’analyse thématique, et qui seraélaboré dans la partie : mise en travail de nos hypothèses.

Christine parlera de combat à propos de la nourriture : « c’est toujours la lutte, je pense à ce que je vais manger », « je suis enfermée dans ma maladie, j’aimerais en sortir, je me sens missionnée. »

L’obsession de la nourriture revenait dans le discours. Christine faisait part de son combat quotidien, et de la lassitude de ce combat. D’une certaine manière elle commençait à signifier sa fatigue psychique de lutter contre l’objet tout en ne pouvant s’empêcher de lutter.

Cette lutte ne paraissait pas correspondre à l’ambivalence liée à l’objet, mais à une lutte plus tragique entre les pulsions de vie et les pulsions de mort.

Devant cette désintrication pulsionnelle nous étions là, n’intervenant pas mais dans une présence où nous avions le sentiment que notre corps, nos sens, pouvaient porter dans le sens de la portance ce que disait Christine.

J’ai éprouvé un sentiment maternel devant Christine, qui n’apparaissait plus comme une adulte, mais comme un bébé.

Elle avait tout le long de cet entretien le regard vide, elle n’exprimait rien, un vide qui s’apparentait au vertige de celui qui n’a pas de rive, de lieu où être.

Christine ne parlait toujours pas de son histoire familiale, seule sa « maladie », et le fait qu’elle se sente « missionnée » la définissait. L’aspect mystique était le corollaire de cette lutte qui l’épuisait. C’était comme, si ce qui s’apparentait à un appel de Dieu, venait rendre caduque ce contre quoi elle s’épuisait.

Ce qui sur terre lui était si difficile à vivre pouvait se penser si celui qui était figuré par le ciel l’avait élu. Christine, combinait ici les pulsions de vie et de mort dans une combinaison tellurique, elle rejoignait les propos qu’elle avait tenu précédemment sur la nature. Elle utilisait les éléments extérieurs, se positionnant parmi eux par impossibilité de dire sur ce qui était de l’ordre de l’intrapsychique.

J’ai fait le choix dans l’étude de ce cas clinique de ne pas l’aborder sous l’angle symptomatologique, comme nous l’avons dit précédemment. Par contre cet aspect permettra de mettre en évidence ce qui du corps et de son lien avec l’aspect originaire vérifiera ou pas nos hypothèses.