Le lien fraternel

Christine m’apprend qu’elle ne parle plus à son frère depuis trois ans. Ils s’évitent, ne mangent pas ensemble. Devant notre interrogation, elle expliqua qu’il avait été convenu d’un roulement pour les repas. Christine mangeait à midi avec ses parents pendant que son frère mangeait seul dans sa chambre. Le soir c’était le contraire : le frère mangeait avec les parents, Christine mangeait seule dans sa chambre. Elle ne comprenait pas d’où provenait cet évitement, il proviendrait de son frère qui dit-elle : « ne veut pas lui parler. »

Je fus sidérée à l’énonciation des propos du sujet car il n’y avait en apparence aucun motif de conflit entre la sœur et le frère.  La famille maintenait cet état de fait en instituant ce mode relationnel durant les repas !

A qui profitait le crime, pour que cette scène tragique puisse se rejouer chaque jour ?

Les non dits, le silence, maintenaient un mode communicationnel entre les membres de cette famille, le couple parental certifiait la mésentente fraternelle en acceptant de cliver leur progéniture. D’une certaine manière, le lien unissant les membres du groupe était dans une position psychique d’éclatement, éclatement qui permettait au couple parental de maintenir un lien ternaire dans la réalité, lien qui évitait à chacun de tenir sa place dans la constellation familiale.

Christine, dans ce qui est de l’ordre de la confusion, participait inconsciemment à cette mise en scène. Il ne faut pas oublier que le frère, lui aussi est au Rmi, comme Christine, il est dépendant des institutions sociales.

Telles des poupées russes, tous les membres de cette famille s’emboîtent, tout en se déboîtant dans une violence  qui ne dit pas son nom. Un double mouvement psychique se met en place : celui qui s’apparente à une position hystérisante où l’autre doit être évité car il est source de danger, et un autre à une position archaïque que nous mettons sur le compte du cannibalisme : l’absent du repas est imaginairement mangé. Il y a une interdépendance entre tous qui évite toute différenciation,  chacun est l’objet de quelqu’un où de quelque chose.

Nous pouvons nous interroger aussi sur le plan social qui, comme nous l’avons dit précédemment fait appel à un niveau social plutôt élevé ainsi qu’à un niveau culturel supérieur (le père est ingénieur) Nous n’avons pas affaire ici à des conditions modestes qui nécessiteraient le concours de l’aide sociale. Pourtant dans la réalité les deux enfants perçoivent l’allocation du revenu minimum. Il se joue ici un point nodal dans ce vécu familial, point que mettrons à l’épreuve de l’analyse thématique.