Le rapport à la nourriture

Pendant plusieurs entretiens, Christine parlera de son rapport à la nourriture.

Elle disait se sentir menacée de l’intérieur, elle luttait contre la boulimie en calculant d’une manière draconienne ses apports alimentaires. Elle : « avait peur que cela explose » en faisant référence à l’intérieur de son corps, que : « la nourriture me tombe dessus », que : « les kilos s’agglutinent si je ne fais rien », que : « le fait de m’asseoir me fasse prendredes kilos. »

La peur de grossir était récurrente, c’était sa pensée du matin jusqu’au soir, il n’y avait pas de répit, toute son énergie et tout son temps était consacrés à cette lutte. Christine passait sa journée à faire de longues marches, à faire de la gymnastique, bref à tout mettre en œuvre pour ne pas grossir. Il va s’en dire que dans la réalité, elle était très mince mais pas maigre comme peuvent l’être certaines anorexiques.

Durant ce temps où le sujet parlait de ses peurs de grossir, j’ai accueilli ses angoisses sans aucune intervention car il n’y avait rien à dire devant ce qui était de l’ordre d’un discours où le sujet n’était pas dans la réalité du mot.

Véritable paradoxe de la pathologie alimentaire où il n’y pas de délire, et où pourtant l’énoncé est non fondé. Le déni se déployait dans tout son ampleur, le corps réel n’existait pas, seule comptait la peur d’augmenter de volume.

L’objet nourriture était vécu comme un objet envahissant, un mauvais objet contre lequel il fallait se protéger pour ne pas psychiquement être envahi. Cet objet était vécu comme extérieur à elle, un extérieur contre lequel il fallait lutter constamment de peur d’être contaminé par lui.

Nous sommes ici devant une relation archaïque où prédomine la relation d’objet partiel de type oral.

Les angoisses de type schizo paranoïdes prédominent dans l’ingestion de l’objet psychique. Le sujet est dans une lutte où l’objet nourriture est un élément bêta dont il faut se décharger, et il est aussi un objet à avaler sans arrêt, car source d’apaisement provisoire de l’angoisse de néantisation. Devant ce conflit impossible à résoudre pour un psychisme aussi peu outillé, le sujet ne peut que lutter férocement dans la réalité, pour obtenir d’un corps qui ne lui appartient pas, le leurre d’un réconfort.

Je voudrais revenir sur cette non appartenance corporelle.

C’est bien à partir de la relation archaïque, et à travers ses premières sensations, que le bébé va peu à peu élaborer ce qui vient de l’extérieur, et ce qui est à l’intérieur de lui, où sa peau est l’enveloppe protectrice, et séparatrice de cet espace, où cette délimitation topique est aussi délimitation d’une topisation de l’espace psychique, qui implique une appropriation parcellaire certes,  mais appropriation quand même du corps.

Dans notre clinique, le sujet vit son corps comme un objet extérieur, comme une machine à contrôler. Il ne vit pas son corps dans un investissement libidinal qui lui assurerait un sentiment d’appartenance.

Nous nous pencherons ultérieurement plus longuement sur cet aspect de notre recherche, aspect qui traverse nos cas cliniques. Par contre, nous tenons à préciser le choix de ne pas traiter de la pathologie anorexique et boulimique, car il s’agit de mettre en travail des points de butée chez le sujet en lien avec notre problématique et nos hypothèses ; c’est la mise en lien qui est l’axe éclairant avec ses points de butée et non l’analyse de la symptomatologie.