La relation mère-fille

Christine reparlera de son désir de : « laisser derrière elle une petite œuvre », « quelque chose qui fasse que je me sente fière de moi. » Elle poursuivra à propos du jardin qu’elle a créé au mas de ses parents, jardin qui fut cause de conflit entre sa mère et elle.

En effet, j’apprends qu’elle avait pris l’initiative de créer un jardin maraîcher et d’agrément. Au bout de quelques mois, le jardin prend forme et la mère de Christine décide de s’en occuper aussi. Mère et fille travaillent ensemble la terre, jusqu’au jour où la mère de Christine lui reproche de trop s’investir, et décide que sa fille ne travaillerait plus que deux heures par jour. Durant ce temps octroyé, Christine a des consignes de la part de sa mère, consignes qui dit-elle : « se contredisent. »

Christine décide devant cet état de fait de ne plus s’occuper du jardin et constate que sa mère s’en occupe de moins en moins, jusqu’à ne plus s’en occuper du tout. Aujourd’hui, le jardin étant presque à l’abandon, la mère de Christine lui propose d’y retravailler en lui disant : « on pourrait s’en occuper ensemble. »

C’est parce que cette scène venait de se passer que le sujet la raconta en exprimant un sentiment d’irritation.

Pour la première fois, Christine disait sa colère, elle signifiait verbalement le sentiment d’injustice et d’incompréhension devant une telle situation ; bref elle signifiait un conflit entre sa mère et elle.

En l’écoutant narrer la scène je pensais que le conflit était venu à cause d’une terre à se partager. N’y a t-il pas ici la métaphore de l’espace psychique qui est en jeu ?

Christine décide d’investir un espace, espace qui lui apporte beaucoup de plaisir et qui devient agréable. Sa mère décide d’investir son espace dans un premier temps, pour dans un deuxième temps lui réduire son temps de plaisir et lui ordonner un temps précis, temps dont elle fixe les consignes, consignes qui sont illogiques. Devant ce qui est de l’ordre de l’impossible, le sujet décide de désinvestir cet espace. Devant cet état de fait, la mère décide à nouveau d’une coopération entre mère et fille. La mère décide de tout, sa fille doit s’exécuter ou abandonner ce à quoi elle tient.

Ce morceau de terre symbolise, la relation mère-fille, et montre la toute puissance de la mère, toute puissance qui se manifeste par l’intrusion de l’espace psychique de sa fille. D’une certaine manière, elle n’accepte pas que sa fille puisse avoir du plaisir toute seule et sans elle. Elle doit maîtriser sa fille, la rendre dépendante d’elle, tout en lui énonçant un discours paradoxal qui ne permet plus à Christine de comprendre le désir de l’autre.

Autrement dit, par rapport à ce qui a été dit précédemment, Christine doit rester psychiquement un bout de corps de sa mère, elle ne peut s’approprier quelque chose qui serait à elle, qui n’appartiendrait qu’à elle. Elle ne peut psychiquement se différencier d’une mère qui à son tour ne peut accepter la différenciation d’avec sa fille.

Cette non acceptation maternelle nous renvoie au pourquoi d’une telle attitude maternelle.

En effet, quels enjeux psychiques se jouent dans la psyché maternelle, pour qu’elle ne puisse intégrer ce qui est de l’ordre de l’individuation de sa propre fille ?

La naissance de sa fille est-elle pour cette femme une naissance où un manque à combler ?

D’une certaine manière, elle est renvoyée à son être fille c’est-à-dire à sa propre relation avec sa mère. Son alcoolisme n’est-il pas dans une certaine mesure la faille d’une introjection à toujours recommencer, par manque d’un objet interne constitué. Qu’en est-il de la relation entre la mère de la mère de Christine, du père, des frères et sœurs ?

Je n’appris que peu de choses, si ce n’est que la mère du sujet avait une sœur de cinq ans son aînée et que sa grand-mère maternelle est morte quand elle avait deux ans. Christine n’avait pas vraiment connu sa grand-mère maternelle. Par contre son grand-père maternel vivait toujours.

Malgré le peu de matériel clinique concernant les ascendants du sujet, il se joue ici un point nodal dans notre clinique au sujet de la psyché maternelle et des enjeux psychiques autour de la naissance de Christine.

Après le récit de cette scène, quelque temps plus tard, Christine me dit qu’elle a décidé de quitter la maison familiale pour s’installer dans une maison prêtée par des amis, amis qui ne viennent que le week-end. Au niveau contre transférentiel, je fus surprise de cette décision qui apparaissait brusque et inattendue.

Elle quittait la maison parentale, non pas pour s’installer chez elle, mais pour s’installer chez des autres. Elle allait d’un lieu à l’autre, mais n’avait pas de lieu à elle. Il y avait une sorte d’errance dans les lieux, errance qui matérialisait une errance psychique. Christine sentait la nécessité de partir mais elle ne partait pas pour un chez elle, un espace à elle, symbole de son espace psychique à elle. C’était un pas qu’elle ne pouvait pas franchir.

Je fus confrontée à ma propre histoire, à ma propre difficulté de trouver à me poser pour cause de déracinement.  Je n’étais pas née sur la terre de France et la guerre m’y avait fait venir sans que j’en comprenne le sens.

J’eu par rapport à cette notion de chez soi, un collage avec le sujet car il me renvoyait à moi même et à cette part non résolue de mon histoire.