L’histoire familiale

Au cours du deuxième entretien, Jacques a de la difficulté à se saisir de sa propre parole. Visiblement il attend que ma parole soit inductrice de la sienne. Il me met dans une position de demande par rapport à lui, position souvent difficile à avoir avec des individus dont les difficultés matérielles monopolisent leurs vies.

Je me suis donc décidée à poser à Jacques des questions sur son histoire familiale.

J’apprends que le père de Jacques est fils unique, et que son grand-père paternel est mort quelques mois avant sa naissance.

Le père de Jacques décide de prénommer son fils du prénom de son père, alors que le prénom de Jacques avait déjà été choisi. Jacques portera donc le même prénom que son grand-père paternel. Nous ne sommes pas ici devant une tradition qui consistait à perpétuer le prénom de l’aïeul, mais devant une substitution de prénom pour que la mort de l’autre soit, d’une certaine manière, évacuée dans une continuité nominale.

L’énonciation de Jacques était narrative, sans affect, sans interrogation sur les raisons qui ont poussé le père à prendre cette décision et sur le sens de son discours dans le cadre de l’entretien. J’avais le sentiment que le sujet n’était pas là, qu’il était étranger à sa propre histoire. Tel Meursault, le héros de l’étranger de Camus, Jacques racontait les évènements en spectateur de lui-même.