Les entretiens

Au cours du premier entretien, Martine n’a aucune résistance pour exprimer ce pourquoi elle est au Rmi. Elle décrit son parcours universitaire et professionnel avec une aisance langagière évidente, et dans une sorte de logique de situation. Il y a eu un effet de sidération, à l’écoute de son niveau universitaire, et le fait qu’elle soit au Rmi.

Dans l’après-coup, je réalise qu’il y a eu une sorte de collage de ma part, par rapport à son histoire.

Je désirais faire une recherche universitaire, faire une thèse, et j’entendais la réalité matérielle d’un sujet qui avait un doctorat, sorte de télescopage, entre mon idéal et le principe de réalité de Martine.

Aujourd’hui, dans l’analyse du discours de Martine, sa pensée logique me fait associer à un mode de pensée opératoire, qui la protégerait, d’une réalité interne difficile ou impossible à élaborer.

Martine parla ensuite de la rupture avec son compagnon, rupture qui dit-elle « m’a fait souffrir », ainsi que de ses problèmes de santé : maux de dos, œdèmes aux ovaires. D’un même ton de voix, elle passa du professionnel à sa relation affective et à son corps. Il y avait une équivalence de situation, un discours monocorde, où aucune émotion ne transparaissait.

Martine avait maintenu un clivage entre l’affect et la représentation. Que masquait ce clivage ?

Je n’avais pas d’éléments suffisants pour établir des hypothèses de travail.

Je demandais à Martine si elle avait des frères et sœurs. Elle répondit par la négative et parla spontanément de sa mère. Là, son comportement changea,  le ton de sa voix se fit plus haut, avec un débit plus rapide. Tout à son excitation qui l’animait, elle me prenait en même temps à témoin de son histoire. Ne se posait-elle pas déjà, comme victime de son passé, voulant nous faire jouer le rôle d’une alliée ?

Je n’ai pas pu, à cet instant, être dans une écoute, où une mise en lien aurait été possible, je sentais le désir de Martine de me manipuler, au sens de nous faire jouer une scène, pour tester la fiabilité du cadre. Faire que le cadre n’existe plus, pour que la réalité externe ne laisse aucune place au fantasme.

Martine me dit qu’elle : « a de mauvais rapports avec sa mère » mère qu’elle n’a pas envie d’aller voir. Elle poursuivit, en situant sa conception pendant le divorce de ses parents, et précisa que sa mère ne voulait pas qu’elle « garde son nom » (le nom du père) ; elle m’a dit-elle « harcelée. »

Martine précisa qu’elle n’avait jamais cédé, qu’elle avait toujours gardé son nom. Elle rajouta que sa mère lui a toujours dit : « ne te marie pas.»

Dans la réalité, Martine avait obéi à sa mère car elle ne s’était pas mariée. Par contre, elle mettait en avant la fermeté de sa position : « Je n’ai jamais changé de nom. » L’énonciation du sujet m’interrogeait car elle ne faisait pas référence au nom du père. Elle ne disait pas : j’ai gardé le nom de mon père, mais «  je n’ai jamais changé de nom ».

Il y a là un point nodal du discours dans le nom du père, quelque chose de l’origine du sujet qui se joue dans ce creux du discours, dans cette dénégation dans l’énonciation.

Qu’est-ce que le nom du père joue dans la réalité psychique de Martine ?

Martine parla ensuite de son rapport à l’argent : « Je paye depuis quatre ans la taxe d’habitation d’une maison, alors que je n’occupe qu’une chambre. » Elle était dit-elle : « exploitée par son propriétaire et sa mère. »

Martine payait. De quelle dette se sentait-elle redevable, pour que dans la réalité elle utilise son argent sans considérer la légalité de sa situation. Elle mettait tout sur un même niveau, et dans sa manière d’énoncer, elle lie l’exploitation matérielle de son logeur, et l’exploitation relationnelle de sa mère.

Il semblerait qu’il y a ici imbrication de deux réalités, sans capacité pour Martine de les différencier. Comme si, au niveau topique, le conflit psychique ne pouvait se jouer qu’au niveau du moi conscient en lien avec la réalité externe. Elle payait dans la réalité plus qu’il ne le fallait, pour ensuite dans la réalité psychique être l’objet de l’autre.

Quelle fonction psychique avait l’argent, alors qu’elle était dans une position de précarité ?

Durant cette partie de l’entretien, portant sur sa mère et sur son exploitation, je ne suis pas intervenue, vis-à-vis de ce qui m’apparaissait être un aspect maniaque.

L’élaboration de ce premier entretien, m’a fait réaliser que j’étais inconsciemment traversée dès le début par l’histoire du sujet. Autrement dit, mon sujet de recherche était déjà en travail d’une façon latente. 

A la fin de ce premier entretien je proposais à Martine de la rencontrer, en lui expliquant le dispositif. Elle accepta en signifiant qu’elle se sentait prise en compte.