Les liens parentaux

Au cours du quatrième entretien, Martine évoqua ce qu’elle a appelé : « une prise d’otage », c’est-à-dire le fait d’aller rendre visite à son père et à sa « marâtre. »

Au niveau contre transférentiel, le son de ce mot me dérangeait car je le trouvais inesthétique. Cela me renvoyait en réalité à ma propre histoire : à la séparation demes parents, séparation qui avait été difficile à intégrer.

Dans l’après-coup, je comprends combien ce qui fut mis sur le compte d’une inesthétique langagière, n’était en réalité qu’un point de souffrance personnelle.

Le lien constant entre la séparation de ses parents, et le couple formé par son père révélait, chez Martine, un trauma psychique. En effet, alors qu’elle n’était pas encore née, elle en parlait comme : « d’un sévices moral », sévices moral qui perdurait dans la visite obligatoire dans la maison de son père. Elle aurait dû disait-elle « voir son père dans un lieu neutre. » J’entendais un lieu où il n’y avait aucune sexualité, aucune autre femme qu’elle.

Elle se sentait coupable du couple formé par son père et sa belle-mère. Elle était disait-elle : «  là chez eux, là où il y avait la faute. » Elle avait précédemment évoqué son père dans la détermination qu’elle avait eue, pour conserver son nom, en justifiant son choix comme un désir de le reconnaître. Cette formulation semblait pour le moins surprenante. N’est-ce pas le père qui reconnaît son enfant en le nommant ?

Le nom du père me paraît être ici, le symbole condensateur, et du conflit psychique du moi du sujet par rapport à l’envahissement de l’imago maternel, et l’objet externe qui présentifie la figure paternelle par impossibilité de la symboliser.

En parlant du père, sa voix était calme. En nommant le couple, elle haussa le ton et parlait avec véhémence. Elle jetait avec force les mots, comme s’il fallait que nous aussi nous ressentions comme elle l’impensable. L’impensable du couple de son père avec cette autre qui ne pouvait être nommée que : « marâtre », comme si son prénom était impossible à dire parce que touchant à l’intimité sexuelle du sujet. Il fallait que je sois témoin de sa souffrance, de la violence qui lui avait été faite. Elle m’assignait à une place comme celle qu’on lui avait assigné, c’est-à-dire, d’être l’objet des enjeux inconscients parentaux.

Dans la réalité, il semblerait que Martine utilise la séparation parentale dans un processus défensif, se servant de la réalité extérieure pour « combler les lacunes d’un fonctionnement imaginaire interne » qui selon J. Bergeret signifierait :

‘« Un trouble de l’articulation des vécus internes du sujet avec les vécus rapportés à l’environnement chez les états limites. »81

Je considère que ce trouble porterait sur le fantasme de la scène primitive, ce fantasme originaire n’ayant pu faire fonction d’organisateur par rapport à l’origine du sujet ; figuration fantasmatique impossible de l’origine de Martine. L’énigme de son origine s’inscrivant dans l’énigme de la psyché maternelle et de sa conception. Si « un naît de deux », pouvait-il naître de trois ? Un homme pour deux femmes dans des accouplements rendait inopérants son être au monde.

Notes
81.

Bergeret J., Narcissisme et Etat Limites, p. 3