Le nom du père

A travers l’exigence que Martine ne porte pas le nom de son père, sa mère réactualisait la naissance de sa propre mère. Elle réparait inconsciemment dans l’identification à sa propre mère, la faute de sa grand-mère maternelle en faisant que Martine soit une fille naturelle. Elle s’inscrivait dans ce que D. Sibony appelle : l’entre-deux, qui si on ne le traverse pas tient lieu d’origine. Elle se déchargeait ainsi de la honte qu’elle a sentie chez sa mère qui était : « une bâtarde. » Martine étant alors pour elle, l’enfant de la rédemption possible de la faute, comme elle était l’enfant du déni de la mort. Sexualité et mort s’entremêlent jusqu’à la confusion ; transmission psychique générationnelle d’une sexualité honteuse, et de mort vivant dont Martine sera l’héritière. Si naître, c’est  ne pas être reconnu ou repousser la mort, alors le couple de son père et de sa belle-mère figurera l’acte sexuel.

En d’autres termes, il sera l’acte lui-même, représentation métonymique du couple, qui barrera l’accès au fantasme de la scène primitive. Celle-ci ne sera pas vécue comme un fantasme des origines, mais comme une origine à toujours chercher.

Il se joue ici un point nodal dans l’analyse de l’histoire du sujet, point sur lequel nous reviendrons dans l’analyse thématique

Martine, ne me dira-t-elle pas : « vous êtes nécrologue », phrase qu’elle prononça en ayant dans le même entretien critiqué  la non fiabilité des institutions financières, et fait allusion à la sexualité de sa mère, qui avait pris des amants mais qui n’avait jamais eu une vie de couple.

Le nécrologue est selon le dictionnaire : l’auteur de nécrologies, c’est-à-dire l’auteur de listes de personnes défuntes. Au niveau contre transférentiel, l’attaque symbolisée dans le mot « nécrologue » me fit éprouver un sentiment de tristesse, de vide intérieur, comme si sur le plan fantasmatique, Martine voulait me vider, me déposséder du contenu de notre corps.

Cet éprouvé me fait associer à une attaque à caractère sadique anale. J’étais au niveau fantasmatique pour Martine, l’objet à dégrader, à fécaliser, un objet partiel dépositaire de cadavres.

Il apparaît aujourd’hui, que mon contre transfert a convoqué une position idéologique précédemment citée qui s’est liée à l’angoisse anale du sujet. Parallèle que nous pourrions faire d’une certaine manière avec le : « j’ai été vampirisée par la demande d’argent de mon père », qui condense dans l’énonciation du sujet l’aspect sadique de l’objet et la menace de castration.

L’objet argent vampire, ne renvoyant pas ici à une relation d’échange dont il serait le symbole, mais à une relation persécutrice où sa fonction symbolique n’aurait plus sens.

Au cours de ce qui fut le dernier entretien, Martine parla longuement de ses problèmes avec son propriétaire, de « ses engueulades » avec lui. En effet, il lui avait signifié qu’il voulait récupérer le lieu qui lui louait et la date butoir était imminente. Martine n’avait pas trouvé dans la réalité d’appartement à sa convenance (il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas), et se trouvait condamnée à quitter les lieux sans autre domicile. Elle allait se trouver à la rue.

J’étais interrogée par cette attitude de non prise en compte de la réalité qui, aujourd’hui me fait associer « à la maison du Brésil », objet mythique idéalisé à toujours chercher.

Martine quittait les lieux, soit parce qu’elle n’avait plus de travail (mission à l’étranger) soit parce qu’elle ne pouvait y rester. Une contrainte extérieure décidait pour elle.

J’appris (par son assistante sociale), car je ne la revis plus, qu’elle avait été hébergée chez les parents de son ex-compagnon, comme quand elle revenait de mission. Elle maintenait ainsi un état de dépendance avec ces gens malgré la rupture avec leur fils.

Martine avait utilisé la réalité externe, c’est-à-dire le fait qu’elle n’ait plus de domicile, pour interrompre les entretiens.

A travers cette défense paradoxale telle que Winnicott l’a définie, c’est-à-dire, une défense contre la réalité interne par le truchement de la réalité externe, Martine se protégeait. Elle se protégeait d’une trop grande proximité de l’objet qu’il fallait éloigner par peur d’être envahie.

L’histoire de Martine nous a permis de constater que, à travers le paiement non justifié, (impôt locatif) elle utilise l’argent pour payer une dette psychique dont elle se sent redevable.

Le nom patronymique de Martine est pour le sujet, condensateur du conflit psychique par rapport à l’envahissement de l’imago maternelle et l’objet externe qui présentifie la figure paternelle par impossibilité de la transformer, d’où l’absence de la fonction tiers dans sa psyché.

La mère de Martine, dans son désir d’accoucher sous x et de vouloir que sa fille ne porte plus le nom de son père, barre l’accès à la filiation paternelle et maternelle.

Rendre visite à son père est pour Martine lié au versement de la pension alimentaire ; cette équation équivalente entre le père et l’argent concrétisé par la loi sociale, montre la coalescence entre l’argent, le père, la loi sociale et le couple séparé créé de son père.

L’argent est vécu comme un objet vampirique ne renvoyant pas à une relation d’échange, mais à une relation persécutrice. Il est l’objet dont il faut se débarrasser (paiement injustifié de lataxe immobilière), objet qui ne peut être le tiers dans l’échange.

L’impensable du couple de son père et de sa belle-mère montre le trouble du fantasme de la scène primitive qui n’a pu faire fonction d’organisateur par rapport à l’énigme du sujet.