La relation à son compagnon

Dans les entretiens suivants, Sylvie parla de la relation avec son ami qu’elle avait connu à l’âge de dix neuf ans. Celui-ci travaillait comme gérant de magasin. Elle enchaîna sur le fait qu’il désirait des enfants sans spécifier les sentiments qu’elle avait pour lui. Ce raccourci de la pensée où le désir de l’autre est mis en avant tel un bouchon, lui évitait de parler d’elle et de son propre désir.

Il y avait dans ce discours une prévalence dans la relation d’objet, de l’autre, prévalence que le peu d’éléments dont nous disposions ne nous permettait pas de comprendre.

Sylvie revient sur le désir d’enfant de son ami, et de l’acceptation de son désir à lui qui n’était pas le sien. Elle poursuivit en signifiant, qu’au bout du sixième mois de grossesse, il l’avait quittée car dit-elle « il me trouvait trop énervée. » Dans la réalité, le couple vivait durant cette période chez les parents de l’ami de Sylvie, situation qu’elle ne supportait plus, à cause de sa « belle-mère » qui avait d’après Sylvie : « des rapports incestueux avec son fils ». En effet, elle : «lui donnait à manger quand il s’est fait arracher une dent, alors qu’il avait vingt ans », et « lui mettait le thermomètre quand il avait de la fièvre. » Sylvie mentionne que « sa belle-mère » a fait des démarches auprès des institutions concernées, pour savoir si son fils devait reconnaître ses enfants à naître.

Aujourd’hui, dans l’axe transféro contre transférentiel, j’étais prise et surprise dans cette description d’événements pour le moins caricatural. Caricatural dans le désir de la « belle-mère » de boucher fantasmatiquement, les orifices du corps de son fils : bouche, anus. Dans cette relation intrusive, il était l’objet fantasmatique pénétré par le phallus imaginaire de sa mère, dans une jouissance passive. Elle s’arrogeait des droits sur les enfants de son fils dans la nomination : doivent-ils être reconnus ou pas par son fils ?

A travers cette interrogation, c’est l’existence même de son fils en tant que sujet qu’elle nie, car ce fils ne peut par lui-même décider de transmettre de nom ; dans la réalité, ses enfants ne seront pas reconnus, ils seront les enfants de Sylvie, la mère et le fils maintenant leur relation de type anal.

Sylvie est assignée ainsi à une place d’exclue, elle est celle qui a mis au monde des enfants avec un homme, qui ne se reconnaît pas, dans sa fonction paternelle.

Sylvie décrivait une scène où elle n’avait aucun rôle, si ce n’est celui de spectatrice.

Pourquoi avait-elle accepté ce rôle, qu’elle reproduisait dans l’entretien clinique avec une distribution différente ?

J’étais spectatrice d’une pièce qu’elle n’avait pas jouée, mais où sa présence était nécessaire, et où elle faisait la voix off. Il y avait des enjeux inconscients que nous ne percevions pas, si ce n’est que cette mise en scène devait en cacher une autre, c’est-à-dire ses rapports avec sa propre famille dont elle n’avait rien dit.

Par la suite, elle parla dans le même entretien, de la toxicomanie de son ami qui respirait de l’héroïne, toxicomanie qui a commencé à la naissance de ses enfants. Après l’accouchement, elle préféra aller vivre chez ses parents car dit-elle : « elle avait besoin de sa mère » plutôt que de s’installer dans la maison que son ami avait louée. Elle restera pendant deux ans chez ses parents, et louera seule une maison, où elle se trouve à l’heure actuelle.

« Le besoin de sa mère », nous fit associer au besoin de la drogue de son ami car dans les deux cas, il y a rabattement du désir sur le besoin.

Sylvie comme son ami ne peut assumer son devenir de parent. Sylvie, en devenant mère, se retrouve psychiquement dans une relation d’objet à sa propre mère liée au besoin. Son ami en devenant père, se retrouve dépendant de l’objet de drogue, signant ainsi son impossibilité à satisfaire ses besoins affectifs autrement que dans le comportement. Sylvie et son ami ne sont-ils pas dans un effet miroir ou la présence effective de l’autre masque d’une manière illusoire la relation de dépendance à leur mère respective. Il y a pour Sylvie et son compagnon une impossible représentation de l’objet en son absence, la perte réelle de l’objet signe le manque à être de chacun. Sylvie et son ami sont dans une relation où l’économie narcissique prime sur l’économie libidinale. L’investissement objectal illusoire de leur relation amoureuse s’effondre quand ils sont convoqués dans leur subjectivité de père et de mère.