La relation au père

Son père, agriculteur de son métier, aimait  la musique, le théâtre. Avec lui dit-elle « quand j’étais petite, je faisais du music-hall, je chantais, nous partions ensemble en tournée, et j’aimais cela. » Enfant, son père la : « montrait aux gens, en leur disant qu’elle était extraordinaire », il l’appelait : « petit Louis » (lui s’appelait Louis) car disait-il : « elle me ressemble. » Elle avait dit-elle alors, le sentiment qu’elle devait être toujours parfaite par rapport aux autres. Elle poursuivra, dans le même entretien, sur le fait, qu’il était important pour elle : « de savoir si elle plaît aux gens par tous les moyens, physiques et intellectuels, sinon elle est mal à l’aise. » C’est, d’après ses dires : « dans le regard de l’autre que je me rendais compte des compliments. » A notre intervention, sur le sentiment de confiance, qu’elle cherchait à travers le regard de l’autre, Sylvie signifie son interrogation par un silence et dit : « oui, c’est vrai, c’est l’autre. »

Elle conclura l’entretien sur la notion de confiance : « ce n’est pas grâce à l’autre mais par moi. »

Je voudrais avant de poursuivre m’arrêter sur l’énonciation : « petit Louis. »

Il y a ici un point nodal du discours, il se joue quelque chose de l’origine du sujet. Psychiquement, Sylvie est  un petit de Louis, et un Louis en petit.

Elle est à la fois un prolongement du père, et celle qui a un petit de lui. De fait, le fantasme de la scène primitive ne peut : « opérer comme organisateur. » Il ne peut apporter une solution a ce qui est énigme de l’origine du sujet. Comme le souligne Jean Laplanche et Pontalis, le fantasme de la scène primitive figure :

‘« La conjonction entre le fait biologique de la conception (et de la naissance) et le fait symbolique de la filiation, entre « l’acte sauvage du coït » et l’existence d’une triade mère-enfant-père. »84

Dans l’histoire du sujet, l’union entre le réel du biologique et la symbolique de la filiation ne peut opérer car la mère du sujet en est l’absente.

Sylvie, dans les derniers entretiens, parlera de la mort de son père. En effet, elle l’avait évoqué au cours de la première rencontre mais n’y avait jamais plus fait allusion. Dans la réalité, son père venait de mourir trois mois auparavant.

Pour la première fois, Sylvie exprima une réelle émotion à travers le ton de sa voix, du mouvement de son corps. Elle dit : « Je ne parle jamais de mon père avec ma mère pour ne pas la faire souffrir ».

Sylvie signifie qu’elle ne comprend pas cette mort, car, elle pensait qu’elle n’allait pas la supporter.

J’appris que son père a été incinéré, et que l’urne était dans le salon de la maison familiale.

Il est dit-elle : « chez lui ».

Au niveau contre-transferentiel, l’expression : »chez lui » nous travaillait ; comment pouvait-on trouver naturel qu’une urne soit dans un salon ?

J’étais renvoyée à l’angoisse de mort, et surtout à la mort de notre grand-père maternel. Lui aussi, avait été incinéré et l’urne était posée sur le bureau (contrairement à ses vœux), acte familial que nous ne comprenions pas.

A travers le fait de garder les cendres dans la maison du défunt, c’est le travail de deuil qui ne peut se faire, l’objet urne représentant le mort dans une absence réelle de sa présence.

Les cendres du défunt sont exposées, parce que quelque chose de l’ordre de la symbolisation ne peut fonctionner.

Autrement dit, c’est parce que la représentation symbolique du père n’a pu se faire, que
les restes du corps doivent être visibles.

Sylvie est confrontée à la perte du père, perte qu’elle ne peut mettre en mots avec sa mère, pour se préserver d’autres pertes : le regard absenté de l’autre sur elle.

Notes
84.

Laplanche J et Pontalis JB, Fantasme originaire, fantasme des origines, origine du fantasme, p. 52