La relation à la mère

Sylvie dira dans plusieurs entretiens qu’elle : "était énervée ", expression qu’elle ne développait pas. Cette formulation générique questionnait. Que mettait-elle derrière ?

Au cours du huitième entretien, où elle signifiait cet état d’énervement, j’ai reformulé ses mots et appris que pour elle : « c’est crier, dire des injures ». Elle poursuit sur le fait que sa mère est chez elle depuis quelques jours, et « qu’elle l’énerve, qu’elle l’insulte, que cela n’est pas bien car sa mère n’y est pour rien. « Sylvie avait un comportement qu’elle ne contrôlait pas, comportement où elle réduisait l’autre à l’état d’objet, tout en se désapprouvant, car la cible pourrait-on dire « n’y était pour rien ».

Dans cet agir, où l’autre doit être détruit verbalement, il s’agit pour Sylvie de lutter contre l’angoisse de néantisation liée à la vacuité de la présence de soi-même.

Son soi est fragilisé par défaut de contenance psychique des éléments de la psyché, soi qui par l’agir va expulser ses angoisses mortifères, en réduisant l’autre à l’état d’objet.

Si, par ailleurs, l’objet visé est ressenti comme n’y étant pour rien, c’est parce qu’il est vécu comme un objet idéalisé. Sylvie dira de sa mère : « que c’est une femme parfaite, une sainte ». Présence d’une imago maternelle clivée, qui ne permet pas au sujet d’être dans la conflictualité. Sa mère étant celle que l’on vénère : « la sainte » ou que l’on détruit : « les injures ».

Par ailleurs, Sylvie dira que son père : « insultait sa mère mais que c’était un jeu ».

Drôle de jeu que Sylvie imite en prenant la place du père. A travers cette mimésis, c’est un des modes relationnels du couple qu’elle recréé, dans son impossibilité à se situer dans la triade mère-père-enfant. Ni le père, ni la mère, n’est pris comme objets identificatoires, mais il s’agit ici, de ce qui s’échange à un moment donné entre deux êtres, qui est objet d’identification.

Le : « je suis énervée » de Sylvie, correspondrait à un quantum d’excitation de la pulsion libidinale investi dans le lien à l’autre, investissement qui a toujours à être en tension par absence de l’objet.

Par rapport à sa fonction de mère, Sylvie s’exprimera peu, si ce n’est pour dire : « qu’elle est tellement occupée par son ménage, qu’elle n’a pas le temps de jouer avec ses enfants ». Elle aura dit précédemment qu’elle était maniaque et : « qu’elle nettoyait la maison de sa mère quand elle y allait. »

A travers cette obsession du ménage, il y a chez Sylvie, régression de la pensée au geste, geste qui consiste à nettoyer sa maison. Cet aspect compulsionnel qui l’envahit : « elle n’a pas le temps de jouer avec ses enfants », érotise la temporisation où l’aspect rationnel voile le plaisir qu’elle en retire.

Quand Freud dit : « que la saleté est de la matière placée au mauvais endroit », (p.146, Caractère et érotisme anal in Névrose, psychose et perversion) nous avons le sentiment que Sylvie en transférant l’acte compulsif de laver dans la maison maternelle, projette des parties de soi dans le corps maternel symbolisé par la maison. Parties de soi mauvaises, sales, qu’il faut nettoyer. Cette formation réactionnelle, Freud la met en lien :

‘« Contre l’intérêt pour ce qui n’est pas propre, ce qui dérange et ne fait pas partie du corps. »85

C’était comme si, « la partie du corps » : l’excrément était déposé chez l’autre, et comme le souligne A.Green : « la mise en relation » de ce qui spécifie l’analité ne pouvait fonctionner. Autrement dit, il y aurait confusion de ce qui est à soi et à l’autre, de qui est soi et de ce qui est l’autre.

Notes
85.

Freud S, Caractère et Erotisme anal in Névrose, Psychose et Perversion, p.146