Suite à mon intervention, Sylvie évoqua ensuite, ce que l’argent représentait pour elle. Elle n’avait jamais abordé cette question, alors, qu’elle dépendait des minima sociaux, comme tant d’autres.
Elle dit qu’elle : »qu’elle n’avait jamais eu de l’argent de poche quand elle vivait chez ses parents, qu’elle prenait dans la caisse du magasin que tenait sa mère, et « qu’elle remettait le reste et souvent, elle n’avait rien dépensé ». Elle expliquait son côté peu dépensier par le fait qu’elle : « économisait ses parents en ne prenant pas beaucoup d’argent ». Elle poursuivit en disant qu’elle n’avait jamais gagné sa vie car elle avait : « peur que l’argent qu’elle gagne ne soit pas justifié ». Elle dira : « qu’elle gère l’argent qu’elle gagne » à propos du Rmi.
Aujourd’hui dans l’après-coup, il semble que pour Sylvie, l’argent est l’objet qui ne doit pas disparaître.
En effet, c’est un objet qu’elle prend et qu’elle remet dans le but « d’économiser ses parents ». Cette énonciation au niveau contre transférentiel nous a surpris dans le lien qui en était fait. L’expression économiser quelqu’un, signifie au sens figuré : ménager l’autre.
Le langage est ici à prendre au sens de l’économie pulsionnelle et de l’économie sociale. Ces deux modes sont imbriqués dans le mode d’énoncer de Sylvie : mode économique au sens de la métapsychologie et mode économique au sens de l’échange social.
Je rapprocherai cette imbrication du sens dégagé par J. Laplanche et J.B Pontalis cités par B. Brusset dans : « Psychanalyse du lien », concernant la théorie de l’étayage, celle ci signifiant :
‘ « L’étayage de deux modes de fonctionnement l’un sur l’autre, le mode de fonctionnement sexuel à l’origine, sur la base d’un fonctionnement non sexuel. »86 ’Dans notre clinique cette imbrication prendrait sens, dans un manque d’étayage de la demande sociale sur la demande de l’objet anal. L’objet argent ne peut être perdu, il reste dans la « caisse intestinale » pour éviter que fantasmatiquement son expulsion détruise l’objet.
Si, par ailleurs, Sylvie considère qu’elle gagne son argent quand elle parle de l’allocation du Rmi, c’est parce que justement pour elle, cet argent là est justifié car elle ne « touche presque rien » et n’échange rien. En d’autres termes il n’y a pas de contre partie.
Aujourd’hui, Sylvie étant arrivée à la fin du contrat qui la liait à l’institution n’est plus suivie en entretien. Elle a d’elle-même fait des recherches d’emploi, et travaille dans une maison pour personnes âgées.
L’histoire de Sylvie, donne à voir une psyché prise dans quelque chose de mortifère à travers l’identification de son être mère à la maternité de sa propre mère : la naissance est symbole de mort ou d’accident.
Sylvie est psychiquement un prolongement du père et celle qui a un petit de lui. Le fantasme de la scène primitive ne peut opérer comme organisateur ; il n’y a pas de réponse à ce qui est énigme de l’origine du sujet. L’union entre le réel du biologique et la symbolique de la filiation ne peut opérer car la mère en est l’absente.
Dans l’échange qui prévaut à un travail contre un salaire, Sylvie a peur que l’argent qu’elle gagne ne soit pas « justifié ». La valeur argent ne peut être reconnu comme le tiers dans l’échange. L’argent est cet objet qu’elle prend dans la caisse du magasin maternel mais qu’elle ne doit pas dépenser pour « économiser » ses parents, pour que fantasmatiquement lelien pulsionnel du couple s’articule autour de cet objet social.
L’allocation du Rmi donnée par l’institution sociale est un argent considéré par le sujet comme « gagné » donc justifié car cette somme d’argent est modique. Le lien à l’institution sociale est un lien qui lui permet de ne rien échanger.
Brusset B, Psychanalyse du lien, p.153