A3- L’auto-engendrement imaginaire paternel

Ce troisième point nodal découle de l’irreprésentabilité du désir d’enfant dans la psyché maternelle, non-désir qui est la conséquence psychique du pacte narcissique qui lie la mère aux autres membres du groupe. Cette redevance, qui aliène tout choix possible, oblitère son être mère dans l’acte même de naissance, acte qui ne peut rester sans acteur et sans auteur pour l’infans.

C’est pourquoi, le père sera celui qui psychiquement engendrera l’enfant dans la psyché maternelle, en d’autres termes, il viendra occuper la psyché maternelle, usurpation qui se traduira par le fantasme d’auto engendrement imaginaire par le père pour les sujets.

Pour mieux nous saisir de ce qui vient d’être dit, nous allons développer la notion de fantasme d’auto-engendrement, pour la mettre dans un deuxième temps en lien avec notre clinique en autre à travers la nomination de Sylvie par son père.

Selon E. Bizouard Le fantasme totipotentiel d’auto-engendrement est un cinquième fantasme originaire  où le sujet psychiquement non né tente de se créer, se différencier, en détruisant les objets et les liens. Le fantasme totipotentiel :

‘« Diffère de celui de ceux de castration et de scène primitive, supposant l’un et l’autre une relation, un partenaire. »100

Ce fantasme originaire exclu de fait la différence sexuelle et postule l’incomplétude des deux partenaires :

‘ « Face à la scène primitive, le sujet auto-érotique va s’instaurer en contre créateur autonome. »101

Face à une scène primitive impossible à se représenter dans l’union des deux du couple, le sujet totipotentiel va s’instaurer, se créer lui-même dans une fantasmatique originaire où il s’agit « de se constituer comme sa propre cause et sa propre fin. »  (ibidem, p.194)

Cet auteur stipule par ailleurs, qu’une des manifestations cliniques du fantasme d’auto-engendrement est « la représentation d’une parthénogenèse. » (ibidem, p.198)

Dans notre clinique, les sujets ne s’auto-engendrent pas pour fonder leurs origines, mais utilisent le père, non pas comme le tiers mais comme représentant psychique maternel dans l’acte de procréation. Le père et la mère sont superposés, un naît de un et non de deux, le collage des figures parentales rend impossible toute position psychique pour l’infans.

En d’autres termes, le sujet se vit comme étant issu d’une représentation parthénogénique paternelle car celui qui nomme, comme nous allons le voir dans notre clinique, ne peut poser cette énonciation qui reconnaît et légitime sa place de père, il est celui qui accouche de l’enfant. Le père prend la place de la mère ; il n’est ni le père, ni la mère .

Le sujet n’a eu que cette solution pour arriver à s’originer, même si cela passait par l’évacuation de la fonction tierce du père. Dans cette parthénogenèse paternelle, le sujet ne s’auto-engendre pas mais est auto-engendré par le père pour « créer » la mère.

Cette position psychique du père rendra caduque son rôle de tiers, ce qui aura des conséquences sur la fonction psychique que l’argent aura pour les sujets. En effet, comme nous allons le développer ultérieurement, la fonction tierce de l’argent va « tomber » là dedans, c’est à dire qu’elle s’auto-engendrera dans la psyché du sujet, l’argent pourra prendre ainsi toutes les formes, il est cet objet transformationnel qui remplira telle ou telle fonction selon les ratés élaboratrices pulsionnelles du sujet.

Dans l’analyse clinique des sujets, nous sommes confrontés à travers l’histoire de Sylvie à un père qui la nomme : « petit Louis », lui-même s’appelant Louis, énonciation qui s’entend comme un petit de lui et un Louis en petit. A travers cet énoncé, Sylvie, est vécue fantasmatiquement comme étant le produit d’un auto engendrement paternel imaginaire.

Martine n’aura de cesse de lutter contre sa mère pour ne : « jamais changer de nom » et donc garder le nom de son père ; elle ne fera jamais référence au nom de son père. Par son énonciation elle se vit, comme étant engendrée par le père, car il s’agit de garder son nom en ne pouvant que s’opposer à sa propre mère.

Paul en ne signant pas les productions vidéo qu’il créait, et en laissant faire ses collègues qui signaient à sa place, signifie qu’il n’est pas porteur en tant qu’homme du nom patronymique, il est le fruit d’un auto engendrement paternel, et non le fils dont la fonction est de nommer à son tour et de transmettre le nom du père.

Jacques, lui aussi, comme Paul se laisse déposséder du patrimoine paternel, dépossession qui le destituera de son nom sur le plan social, car il ne pourra plus rien avoir à son nom.

La position psychique de Christine se différencie des précédentes, car c’est dans l’histoire de son père que nous pouvons lire l’auto engendrement paternel imaginaire. En effet, le nom patronymique n’ayant jamais été reconnu, le père de Christine est le petit-fils d’un « bâtard », porteur d’un nom d’origine polonaise qui ne correspond pas à la réalité biologique et historique de ses ancêtres.  La mort de son frère vient réactiver l’impossible reconnaissance de la naissance du grand-père, car l’acte de naissance est synonyme de mort ou de non reconnaissance par le père légitime. Dans la fantasmatique paternelle s’est mise en place la non transmission du nom paternel, il est celui dont la fonction n’est pas de nommer mais d’être celui qui répare l’alcoolisme de son père, en épousant une femme ayant elle-même la même problématique.

Notes
100.

Bizouard E., Le  cinquième fantasme.Auto-engendrement et impulsion créatrice, p. 190

101.

Bizouard E, ibidem, p.192