Les enjeux de la relation anale

Pour expliciter les ratés de la chaîne transformationnelle qui se jouent dans notre clinique, nous allons analyser les enjeux psychiques qui sous tendent la relation anale.

Dans la relation anale, avant que le sujet n’investisse la perte des fèces d’une capacité substitutive pour être symbolisable à partir de la valeur accordée à l’objet imaginaire, il doit d’abord s’approprier l’exclusion, la perte.

Nous allons aborder les différents mouvements possibles de l’exclusion en lien avec la perte.

Si tout se passe bien, le sujet lâche les fèces, il y a perte, et il s’approprie cette exclusion qui est à lui, exclusion dont il fait don à l’autre. Il y a dans la perte, un premier mouvement qui est dans une position passive, position passive qui doit se transformer en une position active, dans un deuxième mouvement, pour que cette perte devienne exclusion différenciatrice et don à l’autre. Nous faisons une distinction entre perte liée à une position passive et l’exclusion qui implique le don lié à une position active.

Cette distinction permet d’éclairer la notion de perte qui peut n’être vécue, par le sujet, que d’une manière passive, et qui n’impliquerait pas le don.

Cette transformation de la position passive de la perte à la position active de l’exclusion nécessite l’intégration de l’absence et du temps, c’est-à-dire du temps de l’absence de l’autre.

En d’autres termes, un temps qui renvoie au temps de l’oralité, à la satisfaction hallucinatoire de désir, et à la capacité d’attente, qui implique le temps de l’attente, celui-ci ne pouvant se constituer qu’à partir de la réactivation par l’infans d’expériences de satisfaction nourries de l’objet primaire, ainsi qu’à la capacité de désillusion de la mère, telle que l’entend Winnicott.

Si l’exclusion des fèces n’est pas possible, alors le sujet ne lâche pas. Psychiquement il garde, il conserve à l’intérieur de lui, et ça tourne à l’intérieur.  Apparaissent alors des pensées ruminantes, obsessionnelles.

L’exclusion peut aussi se constituer, mais l’objet fécal est constitué pour intruser l’autre, il n’y a pas de don à l’autre.

Dans l’analyse de notre clinique, le sujet n’a pas fait sienne l’exclusion ; il se situe parmi les deux positions psychiques liées à l’exclusion que nous venons de décrire. Aucun n’a pu psychiquement être dans une appropriation de l’exclusion, le don à l’autre ne s’est pas constitué, nous sommes du côté du pictogramme de rejet : 

‘« Ce rejet implique que la psyché s’automutile de ce qui, dans sa propre représentation, met en scène l’organe et la zone, source et piège de l’excitation. »116

Le premier temps de la relation anale qui consiste à faire don à l’autre n’a pas fonctionné. A fortiori, l’équivalence symbolique qui nécessite l’acquisition de la substitution des objets imaginaires. En effet, nous avons constaté que les sujets étudiés sont captés par la relation imagoïque. De fait, ils ne peuvent constituer l’objet imaginaire dans leurs propres espaces psychiques.

En revenant sur la notion d’appropriation de l’exclusion, donc de la perte pour en faire don à l’autre, il faut que cette perte soit investie d’une capacité  substitutive pour être symbolisable à partir de la valeur accordée à l’objet imaginaire.

La question qui se pose dans notre clinique est : à partir de l’analyse qui vient d’être faite des trois valeurs possibles accordées à l’objet fèces, quelle est la valeur accordée à l’objet imaginaire, étant donnée les ratés dans l’équivalence symbolique ? 

Nous partons de l’axe de travail suivant : la valeur accordée à l’objet fèces est en lien avec la manière dont le sujet vit son espace corporel. En d’autres termes à savoir s’il s’est approprié cet espace, s’il est sien.

Cet angle d’analyse revient à dire que les fèces ont une valeur en fonction de l’appropriation de l’espace corporel par le sujet. Il ne s’agit plus alors de considérer la perte, et l’exclusion dans l’axe de l’équivalence symbolique, et de la capacité substitutive des objets psychiques, mais de l’appropriation réussie ou pas par le sujet de son propre espace corporel.

Cette interrogation nous amènera à traiter de notre sous hypothèse : l’échange entre le sujet au Rmi et l’institution.

L’argent implique l’intégration d’une chaîne de transformation de l’objet. Cela est possible grâce à l’argent investi par le sujet dans sa valeur d’échange. Dans la clinique que nous venons d’analyser dans son lien avec l’argent, les sujets ne peuvent pas transformer l’objet fèces car celui-ci est vécu comme un objet narcissique et non comme un objet libidinal, porteur d’une capacité transformationnelle. Il est cet objet qui, dans la scène primitive, est le lien dans le couple, lien sous forme d’engramme pictogrammatique qui permet au sujet de se figurer sa propre origine.

La non représentation psychique de l’argent comme tiers de l’échange est dû à une butée dans l’axe transformationnel de l’équivalence symbolique de la relation anale. Cette butée dans l’axe transformationnel s’origine dans une scission dans le fonctionnement du processus originaire où le corps du sujet est un corps qui ne lui appartient pas, comme nous pouvons le constater chez Christine, Sylvie, et Martine qui le manifestent chacune à leur manière.

Le don originaire  de la mère n’a pas eu lieu, car celle-ci a fait une demande  en lien avec son pacte narcissique. Nous sommes ainsi confrontés à une imbrication d’une redevabilité au groupe familial et d’une réparation d’une mort à travers la naissance de l’enfant.

Face à cette non donation maternelle ainsi qu’à cette demande maternelle, le sujet n’a pas pu investir son corps comme sien, comme objet donateur de choses bonnes, et comme il n'a pas pu se représenter le lien dans la scène primitive car le père a dû être celui qui auto engendre le sujet pour que celui-ci puisse survivre psychiquement.

C'est pourquoi l’argent, lieu de dépôt de l’originaire, fait qu’il ne peut plus être traité du côté de l’équivalence symbolique, mais du côté de ce que le sujet lui attribue, en d’autres termes, il est du côté de l’attribution, et non du côté de la chaîne transformationnelle.

L’argent est cet objet sur le plan de l’économie marchande qui fait fonction d’objet équivalent général alors que pour les sujets au Rmi sur le plan de l’économie psychique, il est cet objet auquel ils attribuent une valeur d’engramme pictogrammatique. De fait la fonction économique au sens marchand et la valeur économique au sens psychique de l’objet argent se situent sur des niveaux de compréhension différents ce qui contribue à la confusion dans l’échange que le sujet a avec l’institution.

Cette confusion des champs d’approche de l’objet argent participe de la difficulté à entendre tous les enjeux dans lesquels le lien à l’argent se situe.

C’est pourquoi nous allons mettre en travail la notion de demande maternelle dans l’analyseconcernant l’échange entre le sujet et l’institution, ce qui nous permettra de nous saisir du contenu de l’échange de cette demande et d’éclairer les enjeux psychiques inconscients qui se jouent sur la scène sociale à travers l’objet argent.

Notes
116.

Aulagnier P, La violence de l’interprétation, p. 55