C3- L’échange : Le lien au social

Les allocataires du Rmi se trouvent dans l’impossibilité d’être dans l’échange, qui nécessite que l’argent soit sur le plan psychique le tiers de l’échange, et représentation commune de la loi sociale.

Que peuvent-ils échanger avec le social représenté par l’institution référente ?

Ils échangent des liens, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ils échangent des liens, alors que de nombreux discours parlent de délitement du lien social, à la différence qu’ici il s’agit de liens psychiques.

A partir du concept d’obscénalité de B.Duez, et de la notion de transfert topique, nous allons mettre en travail ce qui vient d’être dit.

Nous aimerions préciser auparavant la notion d’obscénalité qui suppose une scène qui est avant l’objet : 

‘« Il n’existe pas d’objet sans « scène où l’objet peut advenir », c’est toute la fonction du groupe des proches (notamment le groupe familial) de soutenir la mère dans son object presenting, sans quoi la mère ne pourra se sentir légitime auprès de son infans. »120

Cette notion de scène de l’avant de l’objet est une position théorique qui permet de considérer les défaillances, les relations pathologiques à l’objet et d’objet car elle ouvre au champ des autres avant que l’infans ne naisse, investissement par le groupe de familiers, elle donne à voir les liens qui préfigurent l’appartenance du sujet.

D’autres positions théoriques, comme celle de J. Kristeva à propos de la notion d’abject ne donne pas cette dimension scénique à l’objet. En effet, pour cet auteur : 

‘«  L’abject n’est pas un ob-jet en face de moi, que je nomme ou que j’imagine. Il n’est pas non plus cet ob-jeu, petit « a » fuyant indéfiniment dans la quête systématique du désir. » (p 9) ; plus loin elle souligne : «  l’abject n’a rien d’objectif ni même d’objectal. Il est simplement une frontière, un don repoussant que l’Autre, devenu alter ego, laisse tomber pour que « je » ne disparaisse pas en lui mais trouve, dans cette aliénation sublime, une existence déchue. » 121

La notion d’abjection est cet autre en moi, qui se place à la place de mon moi, la place de l’objet n’est pas.  Celle-ci figure une séparation où ne peut advenir l’objet. Si nous avons fait le choix de nous référer à la position théorique de J. Kristeva, c’est que,d’une certaine manière elle est proche de celle de B. Duez, car toutes deux parlent des conditions, et des achoppements de l’instauration de la relation d’objet, à la différence que B. Duez porte son analyse sur les conditions nécessaires pour que cette instauration puisse se créer, alors que dans l’excellente analyse de J. Kristeva nous côtoyons les conséquences de l’abjection de l’objet, et l’errance de ces sujets.

Nous considérons que la position psychique du bénéficiaire du Rmi s’accompagne de l’obscénalisation dans le groupe institutionnel du fantasme des origines où ils retrouvent ainsi les protagonistes de cette scène dans le tryptique : sujet argent institution, et leurs places d’exclu de cette scène, car dans la réalité sociale ils sont assignés en tant qu'exclus. Comme le montrent tous nos cas cliniques, qui d’une certaine manière ont tous les compétences pour se situer dans un échange salarial, échange qu’ils n’ont pas.

Elle s’accompagne aussi du transfert topique sur la scène sociale de l’obscénalité intérieure et de l’utilisation du cadre institutionnel comme dépositaire de leurs ambiguïtés, c’est-à-dire des parties les plus archaïques de leur non moi.

Nous assistons à une imbrication de cadres, le cadre subjectif et le cadre institutionnel. Il y a un double mouvement : actualisation du fantasme des origines (transfert de l’obscénalité intérieure), et dépôt du cadre subjectif dans le cadre institutionnel.

Les conséquences de ce double mouvement font que le cadre subjectif reste silencieux, par effet d’imbrication, par opposition aux formes de pathologies de l’obscénalité, comme dans la tendance anti sociale qui : « relance la problématique du lien entre obscénalité et cadre. » L’obscénalité qui :

‘ « Est le lien psychique par lequel le sujet tente de traiter et de se dégager de l’ambiguïté par un appel à d’(a)utre(s) qui transforme les dépositaires en destinataires, en autres »122

est déposé dans le cadre institutionnel, dépôt qui se transforme en dépendance, du fait même de ce dépôt. 

En effet, le dépôt de l’obscénalité dans le cadre institutionnel permet au sujet de ne plus être confronté à l’ambiguïté, car celle-ci est logée dans le cadre institutionnel qui est dépositaire du non moi du sujet sans le savoir. De fait le sujet au Rmi va dépendre de l’institution qui le protège de sa propre ambiguïté.

Nous sommes dans une pathologie des liens à travers le triptyque : sujet institution argent, où l’argent est le lien dans la scène primitive qui unit les deux du couple, et où l’obscénalité se loge dans le cadre institutionnel.

Sur quelles bases décrire la psychopathologie du lien, telle est la question que pose R. Kaës, et que nous nous posons à notre tour, en faisant nôtre sa proposition de travail : 

‘« Notre perspective exige assurément de rapporter la psychopathologie du lien aux conditions dans lesquelles les liens se constituent, se maintiennent et se dissolvent : sur quels investissements pulsionnels, selon quels fantasmes et quels mécanismes de défense, en mobilisant quels abandons, quels renoncements et quelles identifications, pour quelles parts de bénéfice, en maintenant et en protégeant quels idéaux ? »123

A partir de cet axe de travail, nous considérons que le lien qui unit l’institution et le sujet au Rmi, s’inscrit dans le cadre des alliances inconscientes et plus précisément d’un pacte dénégatif. Celui-ci est constitué du refoulement de la scène primitive pour chacun des protagonistes du lien.

Pour expliciter la constitution du refoulé de l’institution, nous devons prendre en considération les changements liés aux idéaux constitutifs de la protection sociale.

Les années quatre-vingt, ont vu s’effriter les idéaux qui sous-tendaient la protection sociale devant ce qui n’est plus aujourd’hui que de l’ordre de la survie, le dispositif Rmi en étant le symptôme.

Énoncer que les institutions sociales s’occupant de traiter ce dispositif sont traversées par un malaise est un euphémisme. Pour dire les choses d’une autre manière, les acteurs du social sont découragés, et ne trouvent plus de sens à leurs missions.  Nous considérons qu’ils sont dans l’expérimentation de la violence du « fantasme organisateur de la scène primitive déplacée » qui selon P. Fustier, signifie la culpabilité basée sur la honte pour le couple parental à assurer leur position ; celle-ci étant vécue comme « sale et indigne. » Le tiers exclu de cette scène, n’étant pas alors, le centre de gravité, mais le père et la mère.

Autrement dit, référents sociaux et sujets ne peuvent fantasmatiquement se situer à leur place dans la scène primitive, ils sont liés par ce pacte dénégatif :

‘« Cet accord inconscient sur l’inconscient est imposé  ou conclu pour que le lien s’organise et se maintienne dans sa complémentarité d’intérêt »124

Les uns en quête d’une origine qui donneraient sens à leurs conceptions, les autres diffractés par un effondrement narcissique qui les laissent dans une recherche identitaire, et dans un effondrement sur soi.

C’est pourquoi, le lien unissant l’institution sociale et le sujet au Rmi est de l’ordre de la « socialité syncrétique », c’est à dire caractérisé par l’indifférenciation, la non différenciation et par une non relation.

Nous considérons que des enjeux inconscients se jouent sur des scènes différentes qui créent un écart dans la rencontre, dans l’échange, cet écart induit des tensions qui nous amènent à la notion de social rapté, c’est-à-dire, que la demande et l’échange se situent sur des registres différents.

Nous développerons cette pensée dans le cadre de l’analyse sur le jugement d’existence et le jugement d’attribution, mais tenons à préciser, que la notion de social rapté situe cette tension inhérente au social, tension qui ici, dans notre recherche, crée un écart dans le cadre de l’échange, parce que la dimension transformationnelle de l’échange ne marche pas.

Le social rapté contient cette double dimension avec, en filigrane, une institution sociale qui, dans sa finalité, rapte ce qu’elle met en place à travers ses dispositifs.

Notes
120.

Duez B, Pratiquer les médiations en groupes thérapeutiques, p. 144

121.

Kristeva J, Pouvoirs de l’horreur, p.17

122.

Duez B., Le lien groupal à l’adolescence, p. 69

123.

Kaës R., Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels, p. 23

124.

Kaës R., Le groupe et le sujet du groupe, p. 274