Le blanc du fantasme de la scène primitive

Nous aimerions définir la notion de blanc du fantasme de la scène primitive où il s’agit de l’impossible transformation des éléments énigmatiques du sujet qui s’externalise sur la scène sociale.

Ce non advenu pour le sujet, nous le rapprochons d’un vécu traumatique au sens qu’emploie C. Janin en faisant référence à Michelet qui stipule l’importance « de faire parler les silences de l’histoire ». Le traumatique :

‘« Est du côté du négatif, en ce qu’il vient dans la mise en absence des liaisons entre processus primaires et secondaires qu’il suppose, attaquer le sentiment de continuité et de permanence du moi. Dans une telle situation, l’accrochage au perceptif, la non-liaison par les représentations empêchent la mise en œuvre d’un processus dans lequel une représentation et le refoulement de celle-ci peuvent se constituer ; à l’inverse, c’est le pôle hallucinatoire qui est investi. Une formulation paradoxale permettrait de dire, sur le modèle de ce que j’ai autrefois suggéré pour l’objet, que la trace mnésique de l’événement s’inscrit dans le moi comme trace absente »125

L’analyse que nous avons faite sur le pacte narcissique de la mère des sujets où la perception de l’abandon de la mère prévaut, analyse qui constitue un des éléments constitutif du blanc du fantasme des origines s’inscrit dans un silence de l’histoire du sujet et contribue à l’aspect traumatique.

Les éléments énigmatiques qui n’ont pas rencontré la violence de l’interprétation restent énigmes pour le sujet et vont effracter la psyché, ce qui a pour conséquence une régrédience de l’identité de pensée vers l’identité de perception que donne à voir l’investissement sur le réel de l’objet social.

Du coup, la scène traumatique se joue à blanc, c’est-à-dire qu’elle ne se déploie pas dans l’après-coup de l’élaboration, et laisse le sujet confronté aux éprouvés d’indices corporels où le raccordage fantasmatique n’existe pas.

Les conséquences en sont une attaque des liens dans la relation du sujet avec la fonction de l’objet primaire dans sa présence, de son être là en présence.

Le quantum d’énergie pulsionnelle est laissé pour solde de tout compte, c’est-à-dire dans une déliaison où les motions pulsionnelles condamnent le corps à être cet objet étrange, en dehors du sujet, le terme dehors étant pris au sens de la non appropriation du sujet de son corps.

Nous pouvons le constater dans l’analyse des entretiens de Martine, Sylvie, ainsi que Christine où le corps n’est pas psychiquement investi comme étant le leur. Nous sommes devant un corps qui a une fonctionnalité organique mais qui n’est pas un corps libidinalisé.

C’est pourquoi, nous appelons blanc du fantasme de la scène primitive, la non représentabilité, l’impossible transformation psychique des éléments énigmatiques du sujet qui s’externalise sur la scène sociale.

La faillite financière de Jacques, qui dira que son « vrai moi  sort » depuis qu’il est au Rmi, montre que l’argent dont il s’est dépouillé, et qui est donné par l’institution sociale, lui permet fantasmatiquement de vivre la scène primitive, et en même temps cela empêche l’intégration de cette même scène par l’utilisation d’un objet social.

La notion de blanc du fantasme de la scène primitive est prise au sens de ce qui est absenté, qui n’advient pas, comme dans l’expression avoir un blanc.

Dans notre clinique, les éléments énigmatiques restent énigmatiques pour les sujets, car la violence de l’interprétation n’a pas été dite.  Par conséquent, le sujet ne peut élaborer de réponses qui le situeraient par rapport à sa propre conception, et le blanc du fantasme de la scène primitive s’articule au silence maternel.

Le père, comme nous l’avons montré précédemment, n’est plus alors que cette présence réelle dans la psyché maternelle, qui n’a pas sa place comme l’autre de l’autre de la mère, comme sujet de désir uni dans l’acte procréateur.

Devant cette butée source d’angoisse, le sujet met en scène l’énigmatique de la scène primitive dans la réalité sociale pour ne pas être confronté à ce blanc fantasmatique. A travers ce processus d’externalisation, il peut ainsi fantasmatiquement se vivre, comme présent-absent dans la scène primitive, car il s’inscrit dans une nomination sociale où il est le tiers exclu.

Le lien social qui nécessite, la différenciation soi-monde, espace interne et espace externe, et la construction de sa place dans la triade mère-père-enfant, ne peut fonctionner. C’est pourquoi la pauvreté fantasmatique du sujet va s’articuler à sa pauvreté financière
car elle certifie sa pauvreté fantasmatique.

Nous sommes ainsi devant un collage entre les deux pauvretés évoquées, même si cela condamne temporairement le sujet au minimum social.

Dans la réalité, les sujets ne peuvent se situer, comme nous l’avons analysé précédemment, ni dans l’échange intersubjectif, ni dans l’échange marchand qui n’est pour eux que survie.

Par ailleurs, l'argent est un objet réel demandé par le sujet à l'institution sociale, demande qui le positionne, par rapport à l'analyse de l'argent qui en a été faite, sur le registre de l'appartenance par rapport à ces mêmes institutions. C’est ce que signifie Sylvie quand elle dit : « qu’elle gagne l’argent du Rmi.» Elle signifie ainsi son lien d’appartenance à l’institution sociale, alors que dans la réalité l’institution lui donne cet argent.

Nous entendons par la notion d'appartenance, l'appartenance définie par J.C. Rouchy, au sens du groupe primaire, groupe qui est : « la matrice de l'identité culturelle de groupe » et « la base partagée d'un procédé d'individuation. »

L'instance sociale, par rapport à ce qui vient d'être dit, fait office de fonction tierce, parce qu'anonyme et inconnue, maintenant la dénégation d'exil intérieur du sujet, et actualisant la demande d'appartenance impossible du sujet.

La scène sociale est ainsi le théâtre des enjeux intrapsychiques du sujet, en ayant pour "mission" de l'aider à s'insérer.

Deux modes de fonctionnement psychique se côtoient, sans jamais se rejoindre, l'instance institutionnelle à travers ces représentants qui sont dans l'analité de l'échange, et les sujets dits "précaires" qui eux, sont dans le comblement narcissique et pulsionnel, qui tel le tonneau
des Danaïdes se vide.

Nous sommes ainsi devant une double impossibilité de l'échange, la société qui s'interdit
de réguler ce qui est de l'ordre du maternel, c'est-à-dire que la valeur affective est neutralisée par le social, et les sujets qui eux, sont dans l'impossibilité d'être dans le subjectif.

Notes
125.

Janin C., La réalité psychique, p.34