La scène primitive

Concernant les fantasmes originaires R. Kaës considère que de par leur contenu et de par
leur structure ils sont les prototypes de groupes internes, ils :

‘« Accomplissent la fonction organisatrice primordiale dans le processus groupal… Ils se déploient, dans cette scène-réponse selon une organisation que l’on peut qualifier de groupale si l’on considère qu’ils distribuent des emplacements d’objets, des relations agencées par des actions dans lesquelles se représentent les investissements pulsionnels du sujet, acteur, agi ou spectateur d’une scène dans laquelle les différents objets, les personnages et l’espace dans lequel ils sont situés sont corrélatifs et permutables. Il ne s’agit pas donc d’interaction entre des acteurs autonomes, mais de corrélations entre des personnages sur lesquels jouent les processus primaires de déplacement, condensation, diffraction. »128

Si nous reprenons l’analyse de notre clinique, nous avons montré, à propos de la scène primitive, son impossible élaboration psychique par les sujets, et le fait que l’argent soit cet objet qui, dans la scène primitive, est le lien dans le couple, lien sous forme d’engramme pictogrammatique qui permet au sujet de se figurer sa propre origine.

Nous devons maintenant nous interroger à partir de cet impossible fantasmatisation de cette scène, en quoi nous pouvons y cerner une psychopathologie de la fonction transformationnelle.

Dans l’analyse des groupes internes R. Kaës considère qu’ils sont dotés de :

‘« Principes et d’opérateurs de transformation qui mobilisent des mécanismes variés : permutation, négation, inversion, diffraction, condensation, déplacement. »129

Il précise que ces principes, opérateurs et mécanismes ont pour fonction de réguler et de maintenir la constance du système groupe interne en différents lieux de l’appareil psychique.

Dans la scène primitive, telle qu’elle est vécue par les sujets, nous avons mis en évidence un groupe interne dérivé constitué : du sujet- de l’argent- de l’institution. Par groupe interne dérivé, nous entendons la constitution d’un groupe interne en ancrage sur le social. Il y a utilisation des éléments sociaux dans le but de pallier le manque de l’élaboration de la scène primitive.

Comme le montre Sylvie, qui a peur que l’argent qu’elle gagne ne soit pas justifié. Par contre, elle peut gérer l’argent qu’elle gagne du Rmi.

Ce manque de l’élaboration de la scène primitive trouve à se loger, et à se vivre à travers l’environnement socioculturel du sujet.

En d’autres termes, nous assistons à une configuration groupale actualisée dans le social, avec utilisation de l’objet social argent, comme lien imaginaire des deux autres du couple.

Le groupe interne de la scène primitive externalisé sur la scène sociale, donne à voir les points de butée dans l’échange, et la non opérativité de l’objet social argent. Le sujet n’a pu devant la non représentation de cette scène, qu’utiliser le mode de la diffraction pour ne pas se laisser déborder par ses investissements pulsionnels, mode de diffraction vécue ici comme une défense par actualisation dans le social de cette scène, et constitution d’un groupe interne, représentant anonyme du groupe interne de la scène primitive.

L’institution devient ainsi, une institution dépôt, car elle permet d’être un des protagonistes de la scène primitive, c’est-à-dire ici, la mère archaïque, et d’être dépositaire du cadre subjectif du sujet. Du coup, il y a une non opérativité de la capacité transformationnelle du groupe interne de la scène primitive par scènalisation et dépôt, ce qui a pour conséquence l’instauration d’un lien de dépendance de la part du sujet, et un gel institutionnel qui immobilise les travailleurs sociaux qui ne sont plus acteurs que d’eux-mêmes, car désemparés devant les sujets, et désabusés des différentes politiques sociales qui essaient tour à tour d’apporter le projet salvateur signe messianique d’une position idéologique qui n’arrive pas à faire son deuil.

L’analyse de B. Duez, nous éclaire par ailleurs, sur le fait que :

‘« La psychopathologie de l’obscénalité fait apparaître comment, lorsque les groupes internes ne parviennent pas à assurer un lien suffisant, le sujet se trouve constamment contraint de varier à l’infini des attaques dans une scène où la défaillance de référents imaginaires lui interdit une constance du retrouver ».130

Dans notre clinique il y a attaque sous forme de gel et d’immobilisme, ce qui se traduit dans la réalité clinique par un non échange entre les sujets et les acteurs du dispositif Rmi ou plutôt par une illusion d’échange, ce qui nous fait dire que d’une certaine manière il y a reproduction du même : les sujets reproduisent avec l’institution la relation avec l’imago archaïque.

Notes
128.

Kaës R., Le groupe et le sujet du groupe, p.135

129.

Kaës R., ibidem, p. 132

130.

Duez B., Le lien groupal à l’adolescence p. 90