Les complexes familiaux

Les complexes familiaux mis en évidence par J. Lacan sont les opérateurs inconscients à la base du groupe familial. Ces complexes familiaux sont au nombre de trois : le complexe du sevrage, le complexe de l’intrusion et le complexe d’œdipe. En ce qui nous concerne, nous allons porter notre intérêt sur le complexe du sevrage et le complexe de l’intrusion.

J. Lacan considère que le complexe du sevrage est le complexe le plus primitif du développement psychique, qu’il : « Représente la forme primordiale de l’imago maternelle »131 qui interrompt la relation de nourrissage pour « qu’une tension vitale se résout en intension mentale »132

A travers la constitution de l’imago de la relation nourricière, c’est l’introduction d’une régulation de la vie psychique infantile qui apparaît.

Cette imago qui fonctionne dans l’espace intrapsychique comme un groupe psychique, en quoi chez les sujets étudiés n’a t-elle pas pu opérer, c’est-à-dire en quoi et par quoi, l’imago maternelle n’a t-elle pas pu rendre compte de la groupalité ?

Nous avons, dans la pathologie du dû démontré en quoi, l’imago maternelle ne pouvait advenir, car le sujet rencontrait une présence occupée de la psyché maternelle, présence qui avait pour conséquence l’exclusion du sujet pour cause de place déjà prise. Cette analyse, nous la rapprochons de celle de J. Kristeva qui parle à propos de l’abject de « l’objet chu est radicalement un exclu et me tire là où le sens s’effondre », (p. 9) elle poursuit en disant :

‘« Je n’éprouve de l’abjection que si un Autre s’est planté en lieu et place de ce qui sera «moi. »  Non pas un autre auquel je m’identifie ni que j’incorpore, mais un Autre qui me précède et me possède, et par cette possession me fait être ».133

Dans la notion d’abject, il y a la notion de possession qui situe le sujet dans l’errance par rapport à lui-même, d’un Autre à la place du moi, alors que dans la pathologie du dû, il s’agit d’un Autre qui est occupé psychiquement, qui n’a pas de place dans sa psyché pour accueillir le nouveau, et qui condamne le sujet à l’exclusion.

A partir de cette imago maternelle endommagée, la fonction transformationnelle achoppe car devant la non contenance de l’imago maternelle, le sujet va déplacer sur l’institution la recherche d’une imago maternelle. 

Autrement dit, l’imago prototype inconscient de la relation nourricière à la mère n’ayant pu se constituer que dans l’errance, pour cause d’une présence psychique autre dans l’appareil psychique maternel, va à travers le processus de déplacement créer un lien de dépendance avec l’institution. Ce lien de dépendance vient se nouer illusoirement avec une imago maternelle nourricière issue du complexe du sevrage, l’argent devenant alors pour le sujet, objet du lien de l’avant du sevrage dans un télescopage avec l’objet du besoin de la réalité externe.

L’institution sociale dépositaire de l’imago maternelle est alors la mise en sens, et la mise en scène pour le sujet de sa relation au groupe interne de l’imago maternelle nourricière ; cette externalisation sur la scène sociale d’une scène psychique actualise le groupe interne de l’imago par dépôt.

Sur le plan clinique, nous avons pointé que Christine offre des cadeaux à sa mère, avec l’argent donné par l’institution sociale, institution nourricière utilisé fantasmatiquement par le sujet pour élaborer par l’acte du don, sa relation à l’imago maternelle.

Il nous paraît important de reprendre l’analyse d’une institution dépôt : dépôt de l’imago, dépôt de l'obscénalité dans le cadre institutionnel, pour bien marquer que tous ces dépôts évitent au sujet d’être confronté à l’ambiguïté, et laissent les groupes internes pré cités dans une non opérativité de leurs fonctions transformationnelles par scènalisation et dépôt institutionnel.

Cette configuration psychique obture le lien à l’objet primaire et instaure un lien de dépendance.

La notion d’institution dépôt, est prise au sens des éléments psychiques déposés par le sujet et au sens de ce qui est mis en dépôt, c’est à dire qui est immobilisé.

L’institution dépôt permet ainsi au sujet d’être dans une position psychique d’indécidabilité, il ne peut différencier ce qui relève de lui et ce qui relève de l’autre. 

Nous reviendrons sur cette question au cours de notre dernier chapitre, mais nous ne pouvons pas ne pas relever le brouillard des mesures et des audits qui s’interrogent sur la question sociale qui leur échappe d’une manière récurrente, car ils posent systématiquementla non connaissance de la population malgré les différents bilans quantitatifs et qualitatifs.

Nous ne sommes pas dupes en formulant, que peut-être derrière cette méconnaissance du sujet se dissimule au-delà d’un manque d’analyse réel, un discours politique sous tendu par des enjeux qui ne se préoccupent pas de la question sociale. Nous ne pouvons pas dans le cadre de notre recherche débattre de cette question, mais elle devait être soulignée car ce serait faire abstraction du cadre qui légifère et finance notre quotidien : le politique.

Le complexe de l’intrusion :

‘«  Représente l’expérience que réalise le sujet primitif, le plus souvent quand il voit un ou plusieurs de ses semblables participer avec lui à la relation domestique, autrement dit, lorsqu’il se connaît des frères….Dans la mesure même de cette adaptation, on peut admettre que dès ce stade s’ébauche la reconnaissance d’un rival, c’est-à-dire d’un « autre » comme objet. »134  ’

Pour J. Lacan le complexe de l’intrusion amène le sujet vers une alternative :

‘« Où se joue le sort de la réalité : ou bien il retrouve l’objet maternel et va s’accrocher au refus du réel et à la destruction de l’autre ; ou bien, conduit à quelque autre objet, il le reçoit sous la forme caractéristique de la connaissance humaine, comme objet communicable, puisque concurrence implique à la fois rivalité et accord ; mais en même temps il reconnaît l’autre avec lequel s’engage la lutte ou le contrat, bref il trouve à la fois l’autrui et l’objet socialisé. »135

L’intrus permet au sujet de se dégager du lien idéal à l’objet primaire et de découvrir l’autre, son semblable et l’objet objectal ; bref il :

‘« Apparaît comme une fonction de désidéalisation du lien à l’objet primaire inventé par le sujet… l’intrus par la déprivation qu’il impose, permet au sujet dans l’expérience de la solitude, de dissocier dans l’idéalisation primaire, l’objet objectal, le reste Réel qui est la part de l’objet sur laquelle le sujet n’a aucun pouvoir, la part d’idéal qui fait retour de l’objet et conforte ainsi le narcissisme de l’inventeur. »136

Qu’en est-il dans notre clinique de la rencontre avec le visage de l’intrus ?

Dans l’analyse thématique des sujets nous avons traité du pacte narcissique de la mère :  la naissance qui repousse une mort, et mis en exergue à travers la béance narcissique des sujets tous les objets utilisés comme objets du processus d’idéalisation pour pallier les trouées dela relation à l’objet primaire. L’intrus ne peut être ici celui qui va permettre au sujet de se dégager de l’idéalisation du lien primaire mais celui qui va être le révélateur de l’absence de l’imago maternelle et de la déprivation pour le sujet de cette imago. En d’autres termes, le sujet ne peut accepter la déprivation importé par l’intrus car elle le renvoie à une déprivation première, celle de l’imago maternelle, et à la part d’idéalisation qui le rattache à cette imago. Le lien d’un trop, d’un espoir, est mis à jour par l’intrus qui ne peut être psychiquement vécu que comme celui qu’il faut détruire. Les sujets qui n’ont pu organiser le fantasme de la scène primitive, ont traversé l’œdipe et se sont organisés autour du complexe de l’intrusion, c’est-à dire avec le mouvement de destructivité qu’éprouve l’infans vers cet autre qui le déprive du lien primaire à la mère.

De fait, le sujet ne peut psychiquement introjecter que l’autre est son semblable dans la privation.

Pour illustrer notre propos, la négativité dont nous avons parlé à propos de l’analyse clinique de Jacques, est la caractéristique du lien que le sujet met en scène du dommage primitif qu’il a subi, en l’agissant dans le social et en demandant des comptes. L’assignation dansla négativité qui signifie pour le sujet qu’il n’y a pas eu don de vie, le situe dans la créance par rapport aux autres, créance où le dommage subi ne peut se compenser qu’à travers un échange de dommage à dommage : l’institution lui doit ce lien refusé, ce don de vie. Cette position psychique d’auto dédommagement est une tentative de constitution de ce lien premier.

Les groupes internes qui font appel à plus d’un autre, de par leurs constitutions psychiques, ont une capacité transformationnelle, une capacité d’ouverture, c’est-à-dire que le sujet va rencontrer le visage de l’intrus et sortir de son état de détresse. Par conséquent, les groupes internes transforment l’état en quelque chose que l’autre va pouvoir nommer.

Nous avons analysé comment les quatre groupes internes : imago, scène primitive, complexe du sevrage et complexe d’intrusion n’ont pas pu remplir leurs fonctions par aplatissement de certains éléments du groupe interne, ce qui a eu pour conséquence que les sujets n’ont pu se les approprier pour se constituer dans les groupes internes précités.

La conséquence de cette non appropriation par le sujet des groupes internes, est dans notre analyse, le lien de dépendance institutionnelle à travers l’objet argent, qui est le lien unifiant dans le triptyque : sujet- argent- institution.

En d’autres termes, il est le lien imaginaire entre les différents objets familiaux archaïques dans la représentation d’un groupe interne dérivé. 

La question du lien du sujet dans le cadre de la relation primaire, avec l’autre de la mère, avec l’autre ou les autres de la fratrie, comme l’a montré l’analyse de Christine dans le lien qu’elle a avec son frère, est un des angles d’analyse pour aborder l’argent.

Notes
131.

Lacan J., Autres écrits, p. 30

132.

Lacan, J. ibidem, p.31

133.

Kristeva J. Pouvoirs de l’horreur, p. 18

134.

Lacan J, Les complexes familiaux, p. 36, p.37

135.

Lacan J., ibidem, p. 43

136.

Duez, B., Cahiers de psychologie clinique, p. 73