Comment l’argent peut-il être rencontré ?

Nous considérons que pour que l’argent soit rencontré, il est nécessaire que le sujet puisse se situer dans ses liens avec l’autre et avec plus d’un autre, c’est-à-dire dans une scène où l’objet vient dans un après coup de la rencontre.

C’est pourquoi nous ne sommes pas dans une clinique de l’objet qui présuppose la constitution même de cet objet, la différenciation, l’altérité, mais dans une clinique qui présuppose l’antériorité d’une scène pour que l’objet puisse naître.

Cette scène est l’habitacle corporel pris au sens de l’espace, et de l’appartenance de cet espace par le sujet.

Le lien avec l’originaire prend ici toute sa teneur, car  le sein dans le cadre du processus primaire est :

‘ « Comme un fragment du monde qui a la particularité d’être conjointement audible, visible, tactile, olfactif, nourrissant, et donc d’être dispensateur de la totalité des plaisirs…. c’est pourquoi, la bouche deviendra représentant pictographique, et métonymique, des activités de l’ensemble des zones, représentant qui autocrée par avalement la totalité des attributs d’un objet- le sein- qui sera à son tour représenté comme source globale et unique des plaisirs sensoriels. ….cette « zone-objet complémentaire » est la représentation primordiale par laquelle la psyché met en scène toute expérience de rencontre entre elle et le monde. … La complémentarité zone-objet et son corollaire, soit l’illusion que toute zone auto-engendre l’objet à elle conforme, fait que le déplaisir résultant de l’absence de l’objet ou de son inadéquation , par excès ou par défaut, va se présentifier comme absence, excès ou défaut de la zone elle-même. « Le mauvais objet » est en ce stade indissociable d’une « mauvaise zone »,  le « mauvais sein » de la « mauvaise bouche » et plus généralement le mauvais, comme totalisation des objets, du mauvais comme totalisation des zones et donc comme totalisation du représentant. »137

Nous avons tenu à citer longuement P. Aulagnier pour montrer combien dans notre clinique, l’absence de la mère, la non autochtonie corporelle de l’enfant, la demande de dû « d’un morceau du corps du sujet », ont fait que la situation de rencontre de l’originaire a été marquée par le rejet hors soi de ce qui est lié à la rencontre durant cette phase, c’est-à-dire le lien qui unit l’objet zone à l’objet complémentaire, socle futur du lien à l’objet primaire, et à plus d’un autre.

Notre analyse nous amène à considérer que l’image du corps,  organisateur le plus primitif selon R. Kaës du lien groupal, « lexique premier de tous les énoncés du lien groupal » est le cinquième groupe interne, groupe interne princeps de la non opérativité des autres, et de la position psychique de l’objet argent, objet de lien imaginaire, lien dans la scène primitive, engramme pictogrammatique de cette scène.

Par ailleurs, pour lutter contre l’angoisse de néantisation, les sujets ont dans cette clinique appréhendé l’environnement comme scène où élaborer ces différents groupes internes, l’argent étant le moyen d’échange, l’objet reliant les différents personnages constitutifs de ces groupes. Par moyen d’échange, nous entendons l’objet social utilisé pour constituer imaginairement une relation d’échange avec l’autre, par substitution de la valeur d’échange que cet objet représente dans les rapports sociaux.

Nous avons mis en évidence une psychopathologie de la fonction transformationnelle des groupes internes, et les conséquences pour les sujets de cette non transformabilité dans le lien à l’autre, et aux autres.

Nous avons aussi mis en évidence que cette a-transformabilité des groupes internes se mettait en scène dans le lien dépôt de l’obscénalité à l’institution sociale et dans le lien dépôt de l’originaire à l’argent.

Notes
137.

Aulagnier P., ibidem, p. 61, p. 62, p. 63