D- Le jugement d’existence et le jugement d’attribution

Avant de traiter ce point, nous voudrions rappeler ce que nous avons écrit précédemment, à savoir que les référents sociaux, ainsi que les sujets au Rmi, ne peuvent se situer dans la scène primitive pour des raisons il va s’en dire différentes : les acteurs de l’institution sont dans « le fantasme de la scène primitive déplacée » qui a pour conséquence une culpabilité pour le couple parental à assurer leur position psychique. Cette position psychique fait que ces mêmes acteurs sont dans un effondrement narcissique qui les laissent dans une recherche identitaire, alors que les sujets au Rmi sont en quête d’une origine qui donnerait sens à leur conception.

Nous avons constaté un écart, une tension, dans l’échange même, ce que nous avons formulé par  le social rapté, de par les enjeux inconscients qui se jouent sur des scènes différentes.

En d’autres termes, l’échange est détourné de sa finalité, et ne permet pas la rencontre intersubjective ; chacun échange pour soi, dans un mouvement centripète, les sujets et les organismes sociaux sont figés dans leurs enjeux respectifs, les uns dans le blanc du fantasme de la scène primitive, les autres dans un idéal du moi rattaché à un modèle mythique : l’idéologie.

C’est pourquoi nous considérons qu’il y a une indicibilité de l’échange entre le sujet au Rmi et l’institution, indicibilité dans le sens de ce qui ne peut advenir à la parole, ce qui ne peut être nommé. Indicibilité que nous allons mettre en travail, dans le but de trouver un fond commun à l’échange, en dehors des enjeux inconscients qui contribuent à cet échange impossible car révélateur de ce qui a fait trauma, et qui fait trauma à nouveau.

Nous entendons par-là, le fait de situer le cadre de l’échange, et non le contenu qui vient d’être explicité tout le long de notre travail. 

En effet, quel est le cadre de l’échange entre le sujet au Rmi et l’institution ?

Pour répondre à cette question, nous devons faire un détour du côté du législateur, qui stipule que l’allocation du Rmi est un droit, pour tout sujet n’ayant pas les moyens matériels pour subvenir à ses besoins.  Par ailleurs cette allocation donne accès aux soins médicaux gratuits grâce à la mise en place de la Cmu.

D’une certaine manière la société est dans l’obligation de donner un minimum pour vivre aux pauvres, minimum qu’elle a chiffré, et que par ailleurs elle met en lien avec le contrat d’insertion. Autrement dit, la société donne un droit chiffré, droit qui est subordonné à un contrat d’insertion.

Sommes-nous ici dans un échange par le don, dans un échange marchand ou dans un échange autre ?

L’échange par le don suppose selon la conception Maussienne :

Ces trois obligations sous-tendent que la chose donnée n’est pas chiffrée, car la quantification du don, à travers le prix évalué, rend obsolète le contenu du don, c’est-à-dire la chose donnée. Nous ne pouvons de fait, considérer que l’allocation se situe dans le cadre du don, même si les trois obligations retenues par Mauss se retrouvent dans le cadre législatif.

L’échange marchand met l’objet au cœur de l’échange. Il s’agit d’une transaction où la productivité est au premier plan ainsi que l’anonymat de ceux qui échangent ; ils ne sont dans aucune obligation une fois l’échange effectué. Nous ne pouvons non plus considérer que l’allocation se situe dans l’échange marchand, car il n’y a pas d’objet échangé dans l’échange comme dans l’achat de son journal ; il y a droit d’argent contre obligation d’insertion.

En lien avec l’analyse de la pathologie du dû, nous considérons que notre clinique se situe dans un échange de dû.

En effet, nous sommes dans un calcul de la dette sur le plan social : l’état doit aux pauvres, et se doit de leur fournir des ressources, le sujet au Rmi est psychiquement dans le dû, dû qui se différencie des autres formes de dû comme dans la pathologie délinquante, où le sujet prend son dû dans un passage à l’acte transgressif des lois sociales, alors que le sujet au Rmi demande son dû à l’intérieur du cadre législatif.  Il réclame son dû comme un droit qui lui est conféré par le social.

Ce droit de demande de dû s’ancre dans la demande initiale maternelle, demande que le sujet réitère à l’institution dans un renversement des rôles. En d’autres termes,  ce que la mère lui a demandé comme lui appartenant, le sujet à son tour demande ce qui lui appartient, c’est à dire sa place de sujet qu’il n’a jamais pu trouver. Nous sommes ainsi dans une pathologie de l’acte dans le cadre de l’échange, et non dans une pathologie du passage à l’acte.

Par conséquent, le dû est un dû qui s’inscrit dans l’échange entre le sujet et l’institution à travers une demande. Le cadre de la loi est respecté mais l’objet de la demande, c’est-à-dire l’argent est détourné de sa finalité.

Nous pourrions, au dire de ce qui vient d’être énoncé, considérer que c’est une part nécessaire que la finalité de l’argent soit détournée de sa finalité, mais il ne s’agit plus ici, d’une part nécessaire, mais de détournement de la valeur d’usage de l’argent vers une valeur psychique dans le but pour le bénéficiaire du Rmi de trouver sa place comme sujet.

Nous voyons bien là les deux niveaux d’analyse qui se chevauchent, s’imbriquent, et qui nécessitent une vigilance pour ne pas tomber dans la psychologisation de phénomènes sociaux, ni une socialisation de phénomènes psychiques. Dans la brèche ouverte du droit, ouverte par le législateur, les sujets s’engouffrent pour y loger leurs dûs, et la dette sociale masque l’impossible élaboration de la dette psychique des sujets.

Quel sens peut prendre, alors le contrat d’insertion, contrat obligatoire qui préconise l’insertion dans le groupe social, quand le sujet ne peut reconnaître sa dette de vie par rapport au groupe d’appartenance primaire ?

Nous aborderons cette question dans le chapitre sur les dispositifs cliniciens, question qui fait le lot de moult colloques depuis quelques années, comme si la souffrance psychique du sujet dépendant des institutions sociales pour vivre n’était plus localisable dans la psyché « des professionnels de l’insertion. »