D1- Le sujet au rmi par rapport au jugement d’attribution

Dans « Résultats, idées, problèmes » Freud a écrit un court article : « La négation » qui est, malgré sa brièveté, d’une densité certaine pour la compréhension des phénomènes psychiques et plus particulièrement de la pensée.

Freud nous fait part de la tâche de la fonction de jugement, qui :

‘« Doit pour l’essentiel aboutir à deux décisions. Elle doit prononcer qu’une propriété est ou n’est pas à une chose, et elle doit concéder ou contester à une représentation l’existence dans la réalité. La propriété dont il doit être décidé pourrait originellement avoir été bonne ou mauvaise, utile ou nuisible. Exprimé dans le langage des motions pulsionnelles les plus anciennes, les motions orales : cela je veux le manger ou bien je veux le cracher, et en poussant plus avant le transfert (de sens) : cela je veux l’introduire en moi, et cela l’exclure hors de moi. Donc : ça doit être en moi ou bien en dehors de moi. Le moi-plaisir originel, comme je l’ai exposé ailleurs, veut s’introjecter tout le bon et jeter hors de lui tout le mauvais. Le mauvais, l’étranger au moi, ce qui se trouve au dehors est pour lui tout d’abord identique. »140

Le jugement d’attribution est la première décision où la fonction de jugement a à se prononcer, elle fait appel à une fonction de triage pour le moi qui doit décider pour la première fois, si la chose est dehors ou dedans, c’est à dire distinguer un espace qui appartient à soi et un espace extérieur, et si cette chose est bonne ou mauvaise, c’est-à-dire que le moi est capable de discriminer pour lui-même ce qui qualifie la chose.

Plusieurs questions s’imposent à partir de l’analyse freudienne : sous quelles conditions le moi peut décider de s’approprier telle ou telle qualité de la chose, et selon quels critères va t-il considérer que la chose est bonne ou mauvaise ?

R. Roussillon précise que :

‘ « La question n’est pas seulement « bon » ou « mauvais », mais à quelle condition quelque chose peut-être « bon » ou « mauvais. » Ainsi, l’absence maternelle, « mauvaise » dans le vécu primaire, pourra-t-elle devenir « bonne » pour la représentation si elle est symbolisée. La transitionnalité primaire suspend le jugement d’attribution et le jugement d’existence et ainsi introduit la question de leur conditionnalité. »141

L’analyse de R.Roussillon repose sur une théorisation qui inscrit le transitionnel comme  processus :

‘« De la métapsychologie des processus qui en suspend les catégories ou semble en suspendre les catégories. Son inscription surgit de la nécessité de disposer au sein de la métapsychologie d’un concept susceptible de permettre de penser les transferts et les mutations intra- et intersystémiques, c’est-à-dire de penser le travail psychique non seulement comme un travail de duplication mais comme un travail d’intégration créatrice, c’est-à-dire de transformation. »142

Cette analyse va nous permettre de comprendre deux questions qui sont à rattacher à notre recherche : la conditionnalité et le rôle de la symbolisation de la représentation pour transformer un vécu primaire « mauvais » en « bon. »

A partir de l’analyse de cet auteur, nous allons nous saisir du lien avec le jugement d’attribution, et considérer en quoi ce lien apporte des éléments de compréhension à la clinique de nos sujets étudiés.

Comme le souligne R. Roussillon, la transitionnalité primaire est le processus qui suspend le jugement d’attribution et le jugement d’existence. Elle suppose l’existence d’une symbolisation primaire qui est « le premier travail de métabolisation de l’expérience et de la pulsion », et correspond au « processus par lequel les traces perceptives sont transformées en représentations de choses. » (p.1479)

L’auteur poursuit en signifiant  qu’entre :

‘ «  Le processus psychique et sa représentation chose s’intercale un temps intermédiaire, transitionnel dans lequel le processus prend forme grâce aux choses perçues dans lesquelles il se loge. »143

Pou lui, ce modèle implique un temps nécessaire, un temps transitionnel qui est un temps suspendu, un temps entre deux temps externe interne, où le futur sujet n’a pas a décider.

Par ailleurs, R.Roussillon soulève le problème de la symbolisation primaire à l’objet, analyse que nous allons mettre en lien avec les questions que nous avons posées précédemment, à savoir : le rôle de la symbolisation dans la transformation d’un vécu primaire « mauvais » en « bon ».

En d’autres termes le sujet peut-il s’attribuer en la transformant une propriété vécue comme mauvaise ?

Le rôle de l’objet est primordial dans cette attribution à travers la réponse de l’objet. Autrement dit, l’objet doit accepter d’être « atteint » ni trop, ni pas assez, d’être « utilisé comme simple représentation », d’avoir « une fonction médium malléable. »

Dans l’analyse de l’objet primaire nous avons mis en évidence la présence occupée de la psyché maternelle, l’impossible miroir pour l’infans où pouvoir se refléter ; la non fonction de médium malléable car un objet qui attend de l’autre ne peut se rendre disponible : il est dans un ailleurs,  capté dans la réparation lié à son groupe primaire.

Du coup, la transitionnalité primaire qui suspend l’opposition bon mauvais, dedans dehors ne peut se « jouer », car ce qui appartient à soi, et ce qui appartient à l’autre est rendu sans frontière dans la pathologie du dû, et laisse le sujet dans une position psychique de non attribution de la propriété liée à l’objet et d’une non attribution à soi-même.  

Pour expliciter plus avant ce qui vient d’être formulé, un détour vers le temps de l’organisation anale s’impose en lien avec l’analyse de notre clinique qui en a été faite.

En effet, le temps de l’analité présuppose deux temps : le temps du jugement d’attribution : est-ce que je peux m’attribuer la chose dont je me sépare comme bonne, séparation qui présuppose en aval une acceptation au sens de l’accueil, par l’objet primaire de cette chose ; si elle est considérée comme bonne au dehors aussi, alors je peux la retrouver sans que cette chose soit présente dans la réalité, c’est le temps du jugement d’existence.

En d’autres termes, si nous reprenons l’exposé du cas de Sylvie ; nous avons analysé l’acte compulsif de laver la maison maternelle. Dans cet acte elle projette des parties de soi mauvaises, sales, qu’il faut nettoyer. L’excrément est déposé chez sa mère, il ne lui appartient pas ; il y a une confusion entre ce qui est à soi et ce qui est à l’autre.

Par rapport à la formule freudienne :

‘ « Le moi-plaisir originel…veut s’introjecter tout le bon et jeter hors lui tout le mauvais. Le mauvais, l’étranger en moi, ce qui se trouve au dehors est pour lui tout d’abord identique. »144

notre analyse paraît en inverser le sens.

Nous considérons que pour que le moi originel puisse introjecter le bon, et considérer le mauvais comme étant étranger au moi, il faut que le bon ait été d’abord appréhendé comme bon à l’intérieur pour ensuite être rejeté à l’extérieur, c’est-à-dire déposé dans l’autre, pour dans un troisième temps être introjecté à l’intérieur du moi plaisir. En d’autres termes, les conditions pour qu’une propriété soit considérée comme bonne nécessite au préalable ces trois temps.

Nous ne pouvons pas considérer la perte dans le cadre de l’analité,  si l’objet de la perte n’a pu être vécu initialement comme un objet bon, pour que l’échange puisse advenir avec l’autre. D’une certaine manière c’est l’échange qui suppose ces conditions.

C’est pourquoi nous relions le temps du jugement d’attribution au processus d’intégration de l’intégrité corporelle, c’est à dire que l’infans a la certitude que la chose qui est à l’intérieur de son corps, et dont il doit se séparer est considérée comme bonne, qu’elle ne peut l’intruser. Il ne se sent pas menacé. Nous relions le temps du jugement d’existence à l’intégration corporelle subjective, c’est à dire que le sujet a la certitude de la représentation dans le moi de son intégrité corporelle.

Si nous étendons notre analyse dans le cadre de l’échange tel que nous l’avons défini, c’est-à dire l’échange de dû entre l’infans et la mère, nous pouvons alors dire que le dû n’est ni bon, ni mauvais, il est à l’autre. L’objet est un objet à chercher pour se l’approprier comme objet de soi à l’intérieur de la relation d’échange.

De fait, se pose avec prégnance le temps du jugement d’attribution pour le sujet au Rmi, car l’objet du dû, n’est pas l’objet de la dette, de la créance, il est dans cette clinique l’objet de l’autre qui disqualifie altérité, différence, et transformation psychique de cet objet à travers l’équivalence symbolique, qui comme nous l’avons analysé dans les chapitres précédents a été impossible. 

Nous pouvons en déduire au vu de notre analyse que les sujets bénéficiaires de l’allocation du Rmi se trouvent assignés dans le temps du jugement d’attribution.  Leurs problèmes non résolus sont en lien avec l’objet de l’échange : cet objet est-il bon quand le sujet le donne à l’autre, et qu’il ne lui appartient plus ?

En d’autres termes, l’objet qui est à l’intérieur du moi, garde t-il la même valeur quand il est à l’extérieur du moi ou est-il transformé par la valeur que l’autre lui accorde ?

L’originaire devient ce temps du dû,  car l’interprétation primaire du besoin pour le sujet par la mère n’est en réalité que la demande d’un besoin à elle.

Notes
140.

Freud S, Résultats, idées, problèmes, p. 136

141.

Roussillon R., La métapsychologie des processus et la transitionnalité, RFP, p. 1508

142.

Roussillon R, ibidem, p. 1390

143.

Roussillon R., ibidem, p. 1482

144.

Freud S., La négation in Résultas, idées, problèmes, p. 137