D4- L’institution sociale par rapport au jugement d’existence

Après avoir mis à l’épreuve la demande sociale vis-à-vis des sujets au Rmi, nous devons maintenant regarder du côté de l’institution et nous questionner sur son rapport au jugement d’existence.

Il va sans dire que c’est dans l’analyse des discours, ainsi qu’à travers l’aspect législatif, que nous allons porter notre regard, car comme nous l’avons précisé auparavant, les acteurs institutionnels ne font qu’appliquer les modifications législatives apportées au fil des années sur ce qui est officiellement : la lutte contre les exclusions.

La réalité sociale de l’institution est  de subvenir aux besoins du sujet, pour que cette satisfaction des besoins fasse place à une demande, demande qui doit se situer dans le désir à travers le projet d’insertion du sujet. Nous allons définir les trois notions précitées sur deux niveaux, le niveau social et le niveau psychique pour cerner en quoi l’analyse de ces deux niveaux aboutit au paradoxe, et mettre en travail dans un deuxième temps le jugement d’existence.

Le besoin, selon la définition du vocabulaire de la psychanalyse, né d’un état de tension interne trouve sa satisfaction par l’action spécifique qui procure l’objet adéquat (nourriture par exemple).

Le besoin est expression du fonctionnement organique : faim, dormir etc., il a pour visée un objet réel et précis, objet dans lequel il trouve satisfaction.

L’allocation minimum versée dans le cadre du Rmi a comme critère d’attribution :

‘« Toute personne qui en raison de son âge (25 ans), de son état physique ou mental, de la situation de l’économie et de l’emploi, se trouve dans l’incapacité de travail, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.157 »’

Que dit la législation ?

Elle signifie au sujet dont les caractéristiques d’octroi ont été définies, que la collectivité va pourvoir à ses besoins, besoins qui rejoignent le sens défini sur le plan psychanalytique, mais qui prennent un autre sens quand ils sont articulés à la demande institutionnelle, demande qui fait référence au désir du sujet.

En effet, la demande institutionnelle s’ancre à travers l’établissement du contrat d’insertion : « Il est établi entre l’allocataire et les personnes prises en compte pour la détermination du montant de cette allocation : un contrat d’insertion qui fait apparaître :

Le terme projet définit la capacité qu’a un sujet de se projeter ; le préfixe pro en latin signifie en avant et jeter vient de jactare : envoyer loin en lançant ; le projet nécessite de jeter en avant ce qui sous-tend l’élaboration, et la capacité du sujet à se représenter dans un temps futur, un temps autre que le temps dans lequel il est.

La notion de besoin ne soutient pas un temps autre, elle est dans la satisfaction du besoin organique qui ne peut se vivre que dans l’accomplissement de celui-ci.

Le temps du projet fait appel sur le plan psychique au temps du désir et à la constitution de celui-ci, c’est-à-dire à un temps où le manque est accepté comme manque.  Il s’ancre dans la satisfaction hallucinatoire du désir :

‘ « La satisfaction est désormais reliée à l’image de l’objet qui a procuré la satisfaction ainsi qu’à l’image motrice du mouvement réflexe qui a permis la décharge. Quand réapparaît de nouveau, l’état de tension, l’image de l’objet est réinvestie : « cette réactivation - le désir - produit d’abord quelque chose d’analogue à la perception, c’est à dire une hallucination. Si l’acte réflexe se déclenche alors, la déception ne manquera pas de se produire. » Or, à un stade précoce, le sujet n’est pas en mesure de s’assurer que l’objet n’est pas réellement là. Un investissement trop intense de l’image produit le même « indice de réalité » qu’une perception. L’ensemble de cette expérience - satisfaction réelle et satisfaction hallucinatoire - constitue le fondement du désir. Le désir trouve en effet son origine dans une recherche de satisfaction réelle, mais se constitue sur le modèle de l’hallucination primitive. » (Vocabulaire de la psychanalyse).’

A travers la déception qu’implique l’hallucination de la satisfaction du désir, s’instaure le principe de réalité et du même coup « naît la représentation caractère de ce qui est « ici dedans » et non pas, comme la perception, « aussi dehors ». (Dictionnaire international de la psychanalyse p. 436).

Le désir désigne in fine l’acceptation de ses manques, la capacité à attendre l’autre en son absence, à se le représenter au-dedans, et à ne pas chercher à trouver :

‘« Dans la perception réelle un objet correspondant au représenté mais de le retrouver, de se convaincre qu’il est encore présent. »158

En d’autres termes le désir s’inscrit dans le cadre de la fonction du jugement d’existence car l’objet du désir, comme l’objet du jugement d’existence, est un objet instaurateur d’écart entre perception et représentation, entre principe de réalité et principe de plaisir, entre présence et absence, entre la satisfaction et le manque.

A travers l’analyse de la notion de besoin et de la notion de désir sur le plan psychique, nous constatons que ces deux mouvements psychiques présupposent deux temps différents dans l’élaboration psychique du sujet, temps qui ne peuvent se vivre au même moment et qui nécessitent des processus psychiques différents.

L’institution dans sa demande adressée au sujet, lui signifie le temps du besoin dans l’octroi de l’allocation et le temps du désir dans le projet que le sujet a à élaborer.

Le sujet dans sa demande d’allocation minimum se situe dans son besoin à satisfaire. Pour que cette satisfaction lui procure sur le plan physiologique la garantie de ses fonctions vitales, et qu’elle lui procure sur le plan psychique la garantie du lien originaire pour s’attribuer une place dans sa filiation.

L’institution et le sujet ne peuvent, dans leurs demandes respectives, qu’être dans un échange où la parole qui se dit ne trouve des deux côtés aucun lieu où se rencontrer.  Faute de localisation institution et sujet se disent sans s’entendre, se parlent sans s’écouter. Les membres de l’institution, dans le cadre du contrat d’insertion, sont dans une demande paradoxale d’un rapport à un projet alors que la difficulté du bénéficiaire du Rmi est de s’inscrire dans une place en lien avec la filiation. Cette projection dans le projet induit que le don est considéré comme la répétition d’un dû.

Le cadre du dispositif du Rmi qui énonce besoin et désir en même temps laisse apparaître deux messages contradictoires dans le temps qui situe cette énonciation comme une injonction paradoxale : le sujet ne peut être dans le manque de ce qui est lié à l’objet et dans une élaboration psychique qui nécessite l’objet, le sujet et le but.

Nous rejoignons R. Roussillon qui dans son livre : « Paradoxes et situations limites de la psychanalyse », signifie que l’injonction n’est paradoxale qu’au sein d’un cadre logique. Le paradoxe faisant surgir les contradictions du cadre. Cela est le cas dans l’analyse du dispositif que nous venons de faire où besoin et désir renvoient à des instances différentes dans le mode de relation à soi-même, et donc à l’incompatibilité temporelle.

Si nous poursuivons notre analyse nous pouvons à présent dire que la position psychique de l’institution est dans le temps du jugement d’attribution dans sa demande sociale, c’est-à-dire qu’elle énonce au sujet sur le plan psychique si la chose donnée est bonne pour qu’il se l’approprie en restituant un projet.

La demande institutionnelle sous tend en fait deux demandes : une première demande ancrée dans la demande du sujet, et une deuxième demande ancrée dans le cadre législatif où prévaut le jugement d’existence.

Nous assistons à un enchâssement de la demande, et à un enchâssement de cadre : le cadre psychique du sujet, et le cadre du dispositif du Rmi. Ce double enchâssement contribue à une collusion psychique pour les référents sociaux qui sont confrontés à l’ambiguïté liée au cadre, comme nous l’avons vu précédemment, et à la paradoxalité temporelle liée à la demande.

Notes
157.

Article 1 du Journal Officiel du 3 décembre 1988

158.

Freud S., Résultats, idées, problèmes, p. 138