E- La violence du lien

E1- Poste restante

Il y a une mise en congé du psychisme chez le sujet au Rmi qui le pousse à fuir dans un ailleurs, ailleurs qui ne dépend pas toujours, loin s’en faut, de ce qui a trait à la maladie mentale. Car pouvoir mettre sa souffrance en avant nécessite avant de l’avoir portée, d’avoir pu l’élaborer et de se saisir de la possibilité d’une adresse à quelqu’un d’autre pour que, ce qui sera éprouvé trouve un destinataire.

Cette « poste restante » de l’éprouvé originaire est ce qui origine la souffrance du sujet, et qui l’empêche de pouvoir dire sur soi. Par dire sur soi nous faisons référence aux mots, non pas qui disent dans une logorrhée verbale ou à travers une pensée opératoire, mais aux mots qui nomment pour s’approcher de la désignation de ce qui fait souffrance.

Notre développement, trouve un écho dans la pensée de V. Garcia dans son article  paru dans la revue Dialogues :

‘« Ce que j’entends donc par transmission psychique, opposée à l’ingurgitation, ne peut être qu’en tant qu’est possible une (ré)appropriation par le sujet de ce qui lui vient (lui est proposé) d’un autre affectivement investi. »160

Par ingurgitation, V. Garcia entend une fixation à un processus :

‘ « Qui se rapporte à la notion d’incorporation, en tant qu’elle s’oppose à celle d’introjection. Ce vécu demeure alors extérieur au sujet, sans possibilité de devenir élément du Moi et donc sans sens susceptible d’être vecteur structurant de sa psyché. »161

La notion de processus est inhérente au phénomène de transmission, ainsi que le retour sur soi, et par soi pour le sujet de ce que l’autre a donné comme espace d’investissement. De fait nous considérons que la localisation est dans notre clinique une impossible localisation. Elle est en lien avec la transmission psychique telle que V.Garcia l’a définie.

En allant plus loin sur la notion de transmission, nous posons la question de la filiation et des processus en jeu dans la transmission. Nous allons traiter cette question en nous étayant sur la pensée de M. Soulié et J.G. Lemaire.

A partir d’une distinction sur les processus en jeu qui peuvent être traités soit du côté du contenu, soit du côté de là où ils s’exercent, M. Soulié, considère que :

‘« Les processus de subjectivation - la naissance du Je dans l’espace familial- sont indissociables de la transmission car ils s’inscrivent dans un aller-retour subtil et complexe entre le dedans et le dehors, entre le groupe famille et le sujet, et également entre l’héritage inné et son appropriation individuelle. Cette dernière correspond à l’intégration psychique du temps dans sa logique de l’après-coup, à l’intégration psychique de la mémoire, de l’histoire. »162

Nous retrouvons dans cette pensée, la même notion que celle de V. Garcia, à savoir la notion d’appropriation, notion qui nous renvoie à notre clinique et à la notion de don, c’est-à-dire du contenu de ce qui a été demandé dans le cadre de la transmission.

Autrement dit, c’est à partir des éléments du contenu dans la relation transpsychique où selon J.G. Lemaire : 

‘« Il n’y a pas de limite ou plutôt la limite sujet-objet est brisée : l’objet transmis est introduit de force à l’intérieur des frontières du sujet.Il brise les protections, il effondre les « systèmes pare-excitation ». Il déchire « la peau psychique » du destinataire, à qui il est imposé indépendamment de sa volonté. Ce dernier n’a pas le moyen d’accepter ou de refuser « cet objet psychique » : cette pensée, cette croyance ou même ce sentiment qu’il est obligé d’éprouver malgré sa conscience fracturée.  Au mieux, il devra constituer, pour s’en défendre, toute une série de mécanismes d’enclavements, d’enkystements qui imposent des clivages, et, plus précisément, la formation d’une « crypte » à l’intérieur de laquelle sera enfermé pour être oublié cet objet dangereux dont il n’a pas le pouvoir de se débarrasser. »163

Dans le cadre de notre recherche nous constatons que nous ne sommes pas devant un phénomène cryptique mais devant la transformation du rapport contenant-contenu. Transformation qui s’est externalisée dans un enfouissement dépositaire à l’intérieur des objets sociaux précités :l’argent et l’institution sociale . Au bout du compte, c’est le passage transformationnel contenant-contenu, passage comme nous l’avons vu dans la pathologie du dû qui pose question au sujet, et qui est opérationnel dans le processus d’externalisation du manque du sujet. Autrement dit les sujets devant la non métabolisation par la mère de leurs expériences primitives vont transformer ce contenu par externalisation et dépôt dans la réalité sociale.

Pour dire les choses d’une autre manière, en place et lieu d’un phénomène cryptique, nous assistons à une externalisation du rapport contenant-contenu avec transformation de ce rapport dans des objets sociaux. Le mécanisme d’identification projective est requis dans ce phénomène d’enfouissement-dépôt.

Nous sommes devant une transmission psychique à caractère traumatique car le sujet ne peut transformer ce qu’il reçoit, ce qui a pour conséquence de ne pas pouvoir localiser son éprouvé.

Cette non localisation, comme nous venons de l’analyser, va se déposer dans des objets sociaux symboles de l’échange social.

Nous ne sommes pas devant ce que la clinique de N. Abraham et M.Torok ont décrit à propos de la crypte ou :

‘« Repose, vivant, reconstitué à partir de souvenirs de mots, d'images et d'affects, le corrélat objectal de la perte, en tant que personne complète, avec sa propre topique, ainsi que les moments traumatiques - effectifs ou supposés - qui avaient rendu l'introjection impraticable ».164

mais devant ce qui n’est pas localisable car non transformé par la psyché maternelle et qui a trouvé une issue dans le corps social.

Car comme le souligne très justement M. Soulié :

‘« Ce pouvoir de transmission qu’exerce la psyché parentale est lié à la capacité de rendre psychiques des expériences émotionnelles partagées ou encore d’instaurer des processus transitionnels dans l’espace familial. A quoi pense la mère en présence de son enfant ? se demande A. Green . »165

Nous pouvons poursuivre cette réflexion en nous demandant  quel type de comportement peut avoir la mère, quand elle est saisie de la nécessité de réparation vis à vis de son groupe primaire d’appartenance, auprès de son bébé ? 

Elle lui transmet une psyché préoccupée. Il y a une impossibilité pour le bébé d’être entendu par la mère qui ne peut accueillir ses signaux.

L’angoisse d’anéantissement avec son corollaire de ne plus se sentir exister, d’avoir cette non possibilité de localiser dans sa propre psyché sa propre souffrance psychique (car localiser c’est éprouver soi même l’intérieur de son corps, et pour cela avoir eu un destinataire c’est à dire quelqu’un qui va recevoir la plainte) va envahir la psyché de l’infans.

Notes
160.

Garcia V., Dialogues, p. 7

161.

Garcia V., ibidem, p.6

162.

Soulié M., Dialogue, p. 20

163.

Lemaire J.G., Dialogue, p. 45

164.

Abraham N., Torok M., Deuil ou mélancolie in L’écorce et le noyau, p. 266

165.

Soulié M., Dialogue, p. 23