C- Le groupe a médiation

Nous voudrionsévoquer dans cette partie la nécessité de mettre en place des groupes à médiation avec le public étudié, compte tenu des problématiques qui ont été évoquées. 

Dans un article sur les groupes à médiation paru dans la revue de psychothérapie psychanalytique de groupe (n° 42), C. Vacheret et B. Duez considèrent qu’avec des publics « difficiles » ou le dispositif de l’entretien dans sa dimension associative est « inenvisageable », faute de capacité de liaison psychique, le dispositif de groupe permet de convoquer « la chaîne associative » autrement, grâce à la :

‘« Diversité, la pluralité, la richesse et la capacité du groupe à faire fonctionner à plusieurs des associations suffisamment nombreuses et plurielles pour que le sujet expérimente, en groupe, le fait qu’associer par les pensées est possible, et que cela ne le menace pas de destructivité, ni la sienne ni celle des autres. »180

Nous considérons à partir de notre clinique, que le dispositif de groupe permet au clinicien de travailler avec ces sujets qui sont confrontés à un écrasement du préconscient, et dont le transfert, comme nous l’avons souligné précédemment, s’est constitué sur la scène sociale, avec dépôt de leurs ambiguïtés dans le cadre institutionnel, et utilisation de l’objet social argent comme tentative de l’élaboration de la scène primitive.

Devant ce dépôt du lien, nous sommes devant une autre forme de figure du transfert, que nous rapprochons de celui défini par C. Vacheret : le transfert par dépôt, transfert où le clinicien est utilisé comme lieu de dépôt des pulsions, des affects, ainsi que de la part psychique du sujet qui est inélaborable pour lui. Ce transfert par dépôt est dans notre analyse, autant du côté du psychologue, que du côté de l’institution sociale, que de l’objet social argent ; il y a une extension du transfert par dépôt.

Ce type de transfert, nécessite selon ces auteurs, une analyse du contre transfert rigoureuse, analyse qui suppose un travail de type analytique. C’est pourquoi, pour le clinicien, le dispositif groupal permet :

‘« D’offrir une grande potentialité de réponses, c’est-à-dire d’opportunités transférentielles, car les membres du groupe rendent présente, c’est à dire représentent, la groupalité psychique interne, dans une réalité groupale tout à la fois transsubjective, tangible, physique. »181

Nous pouvons dire, en revenant à notre clinique, et aux constats auxquels nous ont amené l’analyse de nos hypothèses, que le groupe offre aux bénéficiaires du Rmi, la possibilité de déposer dans les autres membres du groupes des objets liens diffractés, ainsi que la possibilité, de se représenter les groupes internes « défaillants », et a fortiori le fantasme de la scène primitive. 

En effet, nous avons dans notre analyse sur les conditions de l’échange, mis en exergue le fait que pour que l’argent soit rencontré, c’est-à-dire pour qu’il soit le tiers dans l’échange, il est nécessaire qu’il ait rencontré les groupes internes.

Nous avons aussi mis en exergue, que le sujet ne peut accepter la déprivation importée par l’intrus, car elle le renvoie à une déprivation première : celle de l’imago maternelle et à la part d’idéalisation qui lui est rattachée. C’est pourquoi, dans la continuité de l’analyse de C. Vacheret et B. Duez, nous faisons nôtre leur analyse :

‘ « L’objet médiateur est mis « collectivement » à la disposition du collectif, il contourne ainsi la part de destructivité radicale liée au complexe d’intrusion. Si l’intrusion ressort, c’est sous une forme suffisamment diffractée sur la collectivité pour que la charge pulsionnelle soit tolérable. L’objet médiateur a une fonction transitionnelle en présence de l’autre, il protège ainsi les patients de l’angoisse liée au détruit trouver- créer. L’objet transitionnel n’est transitionnel que pour autant que, dans l’objet, persistent les restes imaginaires ou réels de celui qui les a mis à disposition. »182

Pour étayer notre développement sur le dispositif groupal à médiation, l’apport de R. Kaës est incontournable dans sa réflexion sur la médiation. Il nous rappelle, à juste titre que :

‘« Si la question de la médiation revient avec insistance dans le débat contemporain, c’est probablement parce qu’elle exprime la nécessité dans laquelle nous sommes pris de traiter d’une manière nouvelle, aussi bien dans l’ordre de la vie psychique que dans celui de la culture, la question récurrente de l’origine, des limites, de l’immédiat, des transformations et, surtout, de la violence, dans sa double valence destructrice et créatrice. »183

Par ailleurs, il souligne ce que notre clinique donne à voir, que les souffrances psychiques d’aujourd’hui sont des troubles des états limites, qu’elles renvoient à des :

‘« Pathologies du narcissisme, de l’originaire et de la symbolisation primaire. Ce sont corrélativement des pathologies du lien intersubjectif. »184

Devant ce constat d’une nécessité, de la part du clinicien, devant les souffrances actuelles, de penser d’autres dispositifs, la prudence s’impose dans la mise en place de ces dispositifs. Autrement dit, il ne suffit pas de réunir des personnes et de mettre à leurs dispositions un objet médiateur qui s’appelle : collage, modelage, conte, etc, pour qu’une médiation s’installe.

Si nous mettons en avant cet énoncé, c’est parce qu’il s’appuie sur notre expérience dans
le cadre de l’insertion sociale, où des ateliers étaient et sont mis en place avec comme objectif de créer du lien entre les personnes.

Quid de l’analyse des productions psychiques groupales ainsi que des processus inhérents à l’objet médiateur en jeu ?

Nous assistons plutôt à ce que nous appellerions de l’occupationnel où règne la convivialité mais qui ne peut en aucune manière s’apparenter à une pratique de médiation.

En effet, l’objet, comme le souligne R. Kaës, n’est médiateur que dans un processus de médiation : 

‘« Ce qui fait le travail de la médiation, il faut y insister, c’est l’accompagnement de l’expérience de médiation par l’écoute et par la parole du soignant. La méthode de la médiation n’implique pas seulement une théorie du fonctionnement psychique, elle suppose une théorie du lien intersubjectif. »185

L’enjeu des médiations dans la vie psychique se situe selon cet auteur au point de nouage des trois espaces psychiques : l’espace intrapsychique et subjectif, l’espace interpsychique et intersubjectif, l’espace transpsychique et transsubjectif ainsi que dans chacun de ces espaces.

A travers cet éclairage théorique, nous voyons bien la complexité des différents enjeux psychiques, et de l’exigence pour le clinicien de penser ces dispositifs, qui nécessitent une ouverture théorique vers des pratiques moins classiques que l’entretien.

Pour nourrir plus avant notre réflexion, dans la pratique, nous allons nous appuyer sur les travaux de C. Vacheret restitués dans le collectif : « Pratiquer les médiations en groupes thérapeutiques », travaux qui s’articulent à notre recherche car ils posent la question du comment travailler avec des sujets dont la capacité de liaison psychique est mise en échec.

En effet, dans notre clinique nous avons mis en exergue la dimension originaire à travers l’argent qui a une valeur pictogrammatique et qui fait lien pulsionnel dans le couple de la scène primitive. Constat qui montre combien les sujets ne peuvent se situer au niveau du processus secondaire et de la symbolisation, c’est-à-dire mettre en mots son ressenti, relier par la pensée ce qui a fait rupture. C’est pourquoi le groupe à médiation nous paraît être le dispositif le plus approprié pour traiter cette difficulté de symbolisation.

Pour cet auteur, le groupe et la médiation sont à privilégier dans certaines situations cliniques car les théorisations psychanalytiques sur le groupe ont montré :

‘ « Les capacités du groupe à offrir un cadre qui soit favorable à la contention des projections et des pulsions à travers des auteurs comme J. Bleger ….mais aussi R. Kaës qui à sa suite, a développé les caractéristiques des processus contenants (exerçant une contention) et conteneurs (ayant un rôle transformateur) illustrés par la fameuse équation : groupe = mère = cadre. »186

Elle rappelle les deux grandes fonctions du groupe à savoir : la capacité à contenir la vie émotionnelle et pulsionnelle des sujets et la capacité à favoriser « les processus de changement et de transformation des représentations. »

Le transfert dans le groupe subit, comme l’a démontré R. Kaës une diffraction, car les membres du groupe permettent au sujet de déposer en chacun des autres une partie de lui-même, au même titre que chaque membre du groupe est dépositaire d’une partie de l’autre.

Cette diffraction du transfert avec ses enjeux psychiques inconscients de dépôt et de dépositaire permet au sujet en difficulté de dire et de nommer, de ne pas être confronté à ses silences, à ses ruptures, à ses déchirures d’une manière trop abrupte ; le temps du passage par l’autre dans le dépôt et/ou comme dépositaire est possible.

C. Vacheret, après avoir posé les apports du groupe, s’interroge sur l’objet médiateur et sur son utilité ; elle analyse le fait que les objets médiateurs qui ont été présentés dans cet ouvrage collectif font appel à des expériences sensorielles. Ils mobilisent un des cinq sens constitutifs de l’expérience perceptive de l’être humain. Elle propose de :

‘ « De reconnaître les liens indissolubles que tisse la pensée en image avec les affects qui accompagnent les premières expériences sensorielles qui la constituent. En effet parler de pensée en images, c’est reconnaître à l’évidence qu’il existe une pensée en images visuelles, mais aussi en images auditives, olfactives, tactiles, gustatives et kinesthésiques. La pensée en image est plus proche des processus inconscients, comme le dit Freud, car elle est inscrite dans le corps, dans ce que l’on pourrait appeler une mémoire du corps, qui ne tombe ni sous le coup du refoulement, ni sous le coup du souvenir, puisqu’elle s’organise bien en deçà de tels processus psychiques. »187

Comment ne pas être en accord avec la proposition théorique de cet auteur qui ouvre à nos yeux une voie importante. 

En effet, à travers notre clinique nous avons analysé à travers la pathologie du dû et ses conséquences qui sont pour le sujet la non autochtonie corporelle, le rabattement du sujet vers l’originaire à travers la valeur que prend l’argent comme engramme pictogrammatique qui signe l’échec du processus primaire et à fortiori du processus secondaire dans le cadre de l’échange.

De fait, ce que C. Vacheret nomme la mémoire du corps est convoquée comme au bout du compte un des enjeux psychiques majeurs inconscients pour les sujets au Rmi, mémoire du corps qui n’est pour cet auteur qu’une formule pour signifier les processus qui « demeurent encore en partie délaissés par les fondements métapsychologiques de la théorie freudienne. » (p.152 ibidem).

Notes
180.

Vacheret C., Duez B., RPPG, p. 188

181.

Vacheret C., Duez B., ibidem, p. 191

182.

Vacheret C., Duez B., ibidem, p.196

183.

Kaës R., Les processus psychiques de la médiation, p. 15

184.

Kaës R., ibidem, p. 15

185.

Kaës R., ibidem, p.17

186.

Vacheret C., Pratiquer les médiations en groupes thérapeutiques, p. 147 

187.

Vacheret C., ibidem, p.151