D- La position psychique du clinicien

A partir de l’hypothèse d’une structure d’indifférenciation primitive, au début du développement humain, J. Bleger considère que :

‘« C’est un résidu de noyaux de cette indifférenciation primitive qui, chez une personnalité « mûre », est responsable de la persistance de la symbiose. Ce résidu, nous lui avons donné le nom de noyau agglutiné. »188

L’objet agglutiné est : 

‘« Un conglomérat ou une condensation d’ébauches ou de formations très primitives du moi en relation avec des objets intérieurs et des parties de la réalité extérieure, à tous les niveaux d’intégration (oral, anal, génital) ; le tout sans discrimination, ni confusion. Cette dernière a lieu lorsque la discrimination se perd alors que dans l’agglutination la confusion n’existe pas puisque la discrimination n’a pas encore été atteinte. L’objet agglutiné renferme la structure psychologique la plus primitive, là où il y a fusion de l’intérieur et de l’extérieur… »189

La description de l’objet agglutiné en fait un objet qui n’est pas spécifique de la symbiose et qui se trouve à tous les étages du développement psychosexuel. Ce résidu est dans notre clinique ce qui va nous intéresser par rapport à la fonction psychique du psychologue.

Avant de nous appuyer sur l’analyse de la clinique du noyau agglutiné selon J. Bleger, nous voudrions rappeler : que le lien est l’objet déposé par le sujet au Rmi dans un dépositaire qui est l’institution sociale, qu’une alliance inconsciente lie le déposé et le dépositaire, que le déposant est le sujet au Rmi, et que la constitution du lien est la déposition, ce qui permet au sujet d’éprouver le lien de dépendance.

J. Bleger dans son étude, sur la symbiose et l’objet agglutiné, considère que ce qui caractérise en autre la symbiose est la coïncidence entre l’objet intérieur projeté et le dépositaire.

Dans notre clinique, nous trouvons cette coïncidence dans une alliance inconsciente entre le sujet et l’institution et l’objet intérieur déposé qui est le lien. L’objet agglutiné est ce qui fait lien avec l’autre, non pas ce qui est objet de lien mais ce qui permet le lien. Ce dépôt de lien constitutif de l’objet agglutiné rend complexe la position du clinicien dont le travail est d’instaurer le lien dans la rencontre avec l’autre. Dans cette indifférenciation de l’objet agglutiné et de l’objet du lien, le clinicien est confronté à une pathologie de fond indifférenciée qui lui laisse peu de marge de manœuvre.

Un développement s’impose par rapport à ce que nous venons d’énoncer. 

En effet, le lien dans le cadre de la scène primitive est un des enjeux chez les sujets étudiés. Ils ont présentifiés cet enjeu sur la scène sociale en utilisant l’argent comme engramme pictogrammatique et lien dans ce qui unit le couple parental. 

Par ailleurs, l’institution est utilisée comme une « mère » à qui le sujet demande à son tour son dû. Nous assistons ainsi à une tentative d’une position ternaire qui situe le sujet dans une présence exclue dans le social par impossible position excluante dans le couple parental.

La question de ce qui fait lien, qui unit, devient alors pour le sujet : objet dans le sens de J. Bleger, c’est-à-dire une formation très primitive du moi en relation avec des objets internes et des objets de la réalité externe.

Cette double position de l’objet agglutiné interne et externe lui confère une position de mobilité psychique dans l’investissement, ce qui a pour conséquence que l’aspect économique est convoqué avec ici une topographie psychique non discriminée.

Nous considérons que le lien-objet devient non pas objet de lien, mais dépôt, dépôt inducteur de la symbiose du sujet.

Autrement dit, l’objet agglutiné est ce qui fait lien avec l’autre et les autres, car il est dans la non discrimination. Cette fusion de l’intérieur et de l’extérieur dont parle J. Bleger est certifiée par ces objets externes pris comme objets internes. D’une certaine manière l’objet agglutiné renvoie à l’engramme pictogrammatique de P. Aulagnier dans le lien.

Pour revenir à la position psychique du clinicien, devant ce qui est de l’ordre de la fusion dans ce qui fait lien avec l’autre pour le sujet, le clinicien ne peut que se situer dans un agglutinat, dans ce que nous nommons un fond indifférencié.

La question transférentielle classique, telle que l’analyse de la névrose l’a montrée, ne peut pas fonctionner.  Sommes-nous alors dans un transfert de type psychotique ? Nous ne le pensons pas. En effet, cette impossible discrimination de l’objet, cette non différence entre l’intérieur et l’extérieur, bref ce résidu primitif n’a pas à être inséré dans une structure pathologique car il participe selon les sujets de toutes les structures que nous venons de nommer y compris les structures états limites.

Nous sommes devant un état et non devant une structure.

Du coup la question se pose du comment être, du comment procéder à partir de l’analyse qui vient d’être faite. 

Nous posons comme hypothèse que le clinicien, devant cette pathologie de fond indifférencié, et devant ce nouage dans le dépôt, c’est-à-dire devant ce dépôt qui s’intrique doublement dans le dépositaire et de par la nature même du dépôt, ne peut que se situer comme faisant lui-même partie de ce dépôt car il n’est pas et ne peut pas être vécu dans une différenciation.

Pour que l’objet agglutiné puisse être mis en travail, il ne peut qu’être tour à tour ce que l’objet agglutiné signifie dans notre clinique c’est-à-dire cet essai de figuration du lien primitif qui se dépose et se présentifie à travers l’objet social argent.

Pour développer plus avant notre pensée, le clinicien ne peut s’engouffrer dans la brèche ouverte par la pathologie des sujets, comme par exemple celle de Christine ou celle de Paul qui ont leurs nécessaires prises en compte, mais qui ne peuvent être traités que dans un après de l’élaboration de l’objet agglutiné. Autrement dit, il nous paraît important de se saisir de cette part primitive du sujet pour mettre en travail les différentes pathologies.

Cette primauté, nous l’inscrivons dans la chaîne du dispositif de l’insertion des bénéficiaires du Rmi. En effet, l’objet lien déposé dans l’institution ne peut être évacué dans la position psychique qu’à le clinicien, car il peut stigmatiser et immobiliser tout processus psychique.

De fait, l’analyse du lien inter-partenarial est à mettre en travail, car le transfert se fait sur le lien. Nous sentons bien la complexification à laquelle nous sommes confrontés et qui demande de poser les choses.

Il y a nécessité de l’analyse du lien inter partenarial car le transfert porte sur le lien.Il y a nécessité de cerner l’effet condensatoire de l’échange à travers l’objet social argent.

Il y a nécessité de laisser pour un temps « de côté » les aspects symptomatiques pour qu’ils puissent se déployer dans une capacité élaboratrice pour le sujet.

Pour élaborer l’objet agglutiné J. Bleger considère que : 

‘« La séparation d’avec le dépositaire exige l’élaboration de la relation symbiotique, c’est-à-dire l’élaboration de l’objet agglutiné ; cette élaboration se fait graduellement et s’obtient par fragments scindés de l’ensemble de l’objet agglutiné, par une diversification des liens avec d’autres objets et d’autres dépositaires et par une réactivation du stade pervers polymorphe qui permet que les zones qui entrent alternativement ou conjointement en contact avec l’objet agglutiné ou son fragment, se diversifient. Ces diversifications permettent une discrimination progressive et une réintrojection graduelle et contrôlée. Tout ce qui aide à fragmenter et à discriminer la condensation de l’objet agglutiné aide à rétablir le processus de projection-introjection et à l’élaboration de l’objet agglutiné lui-même. »190

Le psychologue est ce dépositaire non anonyme de ce qui fait lien pour le sujet dans la relation primitive.

L’idée princeps dans ce qui vient d’être dit est : que le sujet passe d’un dépôt anonyme, c’est- à-dire l’institution, à un dépôt où l’autre est un autre, un être humain.

Ce passage de dépôt est une avancée psychique car il permet la sortie de l’anonymat pour le sujet. Nous pouvons aussi supposer que les effets de la rencontre sujet psychologue ne peuvent qu’avoir des effets d’étayage.

Notes
188.

Bleger J, Symbiose et ambiguïté, p. 9

189.

Bleger J, ibidem, p. 47

190.

Bleger J., ibidem, p. 49, p.50