Quel avenir pour la pédopsychiatrie ?

La pédopsychiatrie est institutionnellement représentée par l'intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile. Elle est définie comme la branche de la médecine qui traite les troubles mentaux et du comportement de l'enfant et de l'adolescent. Notons d'emblée ici que le mot "troubles" vient remplacer le terme "maladies" qui est couramment utilisé dans les autres domaines de la médecine.

Le concept de maladie est généralement défini par l'association d'une symptomatologie particulière à un substrat étiopathogénique, biologique, lésionnel ou fonctionnel. L'utilisation préférentielle du terme "troubles" spécifie ici la place particulière de la pédopsychiatrie dans le champ plus général des sciences médicales. D'après le DSM3-IV-TR, le trouble mental est conçu comme un syndrome ou un ensemble (pattern) comportemental ou psychologique, cliniquement significatif, survenant chez un individu, et associé à une détresse (par exemple une altération d'un ou plusieurs domaines de fonctionnement). Quelle que soit la cause originelle, ce trouble doit être considéré comme la manifestation d'un dysfonctionnement comportemental, psychologique ou biologique de l'individu.

Sous une précision apparente, cette définition laisse évidemment pendant un problème fondamental. Elle suggère que le trouble mental est constitué, soit par des phénomènes subjectivement ressentis (la détresse), soit par des comportements objectivement observables (le handicap), à condition qu'ils soient la manifestation d'un dysfonctionnement comportemental, psychologique ou biologique, et ceci sans qu'aucune précision ne soit donnée sur le sens et les limites du terme central de la définition : le dysfonctionnement. Cette définition laisse totalement ouverte la question de l'analyse psychopathologique de ces dysfonctionnements cependant qu'elle a le mérite de mettre l'accent sur les trois courants, biologique, psychologique et social, au confluent desquels s'est trouvé située, dès l'origine, la pédopsychiatrie, et dont le rôle respectif a déterminé et déterminera dans l'avenir son identité.

Depuis quelques décennies, la montée en puissance de la neuropsychologie avec les progrès des méthodes d'imageries cérébrales, confortée par les succès de la psychologie cognitive mais aussi par les avancées de la psychopharmacologie, modifient profondément les perspectives d'avenir. La pédopsychiatrie est ainsi traversée par de vives controverses : l'orientation psychodynamique qui donne une place prioritaire à l'analyse psychopathologique est remise en question par le retour des modèles médicaux traditionnels. Ces modèles s'appuient sur une sémiologie descriptive valorisant le symptôme et le comportement au détriment de l'analyse du fonctionnement mental et du contexte environnemental, relationnel et social qui leur donne sens. Ceci dit, une chose est certaine : la loi du "tout ou rien" ne va finalement jamais dans le sens de l'histoire (sauf à considérer les heures noires de l'obscurantisme) et, dans le domaine de la psychopathologie de l'enfant, une prise d'appui sur les données issues des neurosciences ou des sciences cognitives apparaît pour certains compatible avec le maintien d'une orientation psychodynamique.

Dans ce contexte, il est évident que le regard clinique porté sur les troubles de l'apprentissage et du développement constitue dès à présent un terrain privilégié sur lequel se développe, et se développera ce débat. Des raisons convaincantes permettent en effet de penser que c'est dans ce cadre que se poseront les questions fondamentales concernant l'identité de la pédopsychiatrie et les réponses qui seront données détermineront nécessairement son devenir. Il ne s'agit pas ici d'une querelle de clocher, ou d'une guerre qu'il faudrait mener entre, d'un côté les tenants d'une psychologie du sens, de l'autre les tenants d'une psychologie du déficit ; car chacun renvoie de la même manière à une vision totalisante de l'enfant. Dans l'intérêt des patients qui lui sont confiés, la pédopsychiatrie est-elle capable d'intégrer à ses pratiques cliniques les nouvelles perspectives théoriques qui alimentent la recherche contemporaine sur les troubles du développement de l'enfant ?

Nous pensons que l'intégration scolaire des enfants et des adolescents présentant des troubles psychiques graves, souvent associés à des retards de développement, ouvre un espace extrêmement riche et vaste pour relever le défi et apporter quelques réponses à cette question. Il ne s'agit pas ici d'un simple exercice de style car au delà du débat et de sa façade sociale, malgré quelques noyaux de résistance, un grand nombre de professionnels sont déjà engagés dans cette voie à travers une multiplicité de pratiques qui rend compte d'une créativité toujours stimulante dans notre discipline. Ils l'ont fait, non pour défendre un point de vue, ni même dans l'espoir de valider telle ou telle conception théorique du développement et de l'apprentissage : ils l'ont fait naturellement parce que les exigences cliniques sur le terrain indiquaient spontanément cette voie, dans l'intérêt des enfants et de leur famille.

Il se trouve que ces démarches sont mal ou peu connues, et donc faiblement reconnues. On entend encore souvent à travers les médias, fuser les attaques contre une corporation qui, la plupart du temps, est déclarée incompétente pour prendre en charge l'autisme, par exemple, ou les autres troubles du développement tels que les dysphasies, les dyslexies, les dyspraxies, les dys …, etc. Le vague des idées de ces militants n'a d'égal que le vague des connaissances qu'ils possèdent d'une réalité institutionnelle plus complexe et variée qu'elle ne paraît.

Cette recherche se développe donc sur un terrain singulier : celui de l'intégration scolaire. L'objectif est ambitieux, puisqu'il s'agit d'approfondir les liens entre les troubles psychopathologiques et les retards de développement cognitif pour, in fine, examiner la manière dont l'émergence de ces liens fournit ou non un cadre conceptuel susceptible d'enrichir les formes d'accompagnement thérapeutique proposées aux enfants. Elle engage ainsi deux domaines classiquement exclusifs l'un de l'autre : l'évaluation cognitive et l'analyse psychopathologique. Le tout, à partir d'un "dualisme méthodologique 4" rarement rassemblé au sein d'une même démarche.

Notes
3.

DSM-IV-TR (2003), Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, Paris, Masson.

4.

Hochmann J. (1996), "Arguments pour un dualisme méthodologique" ; Psychanalyse, neurosciences, cognitivismes, Revue Française de Psychanalyse, Paris, PUF.