Le dualisme méthodologique.

Selon Widlöcher5 D. (2002), les réserves suscitées par l'introduction des sciences cognitives dans la réflexion psychopathologique résultent d'une confusion entre sciences et thérapie cognitives. En effet, deux courants sont identifiables au sein des recherches cognitives : d'une part les thérapies cognitives qui centrent leur action sur les contenus de pensée et donnent lieu aux approches comportementales ; d'autre part la psychopathologie cognitive qui propose une lecture fonctionnelle des processus psychiques intermédiaires entre stimulus et réponse, ces processus étant indépendants de l'histoire personnelle du sujet. A partir de ce dernier point, la psychopathologie d'orientation cognitive peut être conduite à développer des recherches sur les correspondances entre une sémiologie clinique psychiatrique, rassemblée au sein d'une entité nosographique, et les perturbations cognitives élémentaires des processus de traitement de l'information. Dans ce contexte, le stimulus est considéré comme informationnel et l'appareil psychique est conçu comme un système de traitement de l'information6 (Besche-Richard. C., 2000). Cette approche est souvent conflictuelle avec l'approche psychanalytique et la contradiction n'est pas à rechercher du seul côté des chercheurs mais également du côté de l'idéologie dominante d'une communauté soignante : la peur d'être contaminé par le virus de la recherche cognitive qui risquerait de déformer l'identité de la discipline et de fausser les objectifs cliniques.

En réalité, La psychologie clinique s'est remarquablement développée pendant ces trente dernières années, et avec elle les ambitions de recherche qu'elle désire maintenir en lien avec la pratique clinique. Mais il est vrai qu'articuler la pratique thérapeutique avec l'activité de recherche scientifique reste une question sensible. De leur côté, Bouyer S. et Mietkiewicz7 M. C. (1998) prennent d'emblée position en situant "la recherche en psychologie clinique" du côté des pratiques cliniques et la "recherche clinique en psychologie" du côté de l'étude du fonctionnement psychique, dont le référent sous-jacent est la personne totale. Tout en gardant cette opposition recherche en psychologie clinique versus recherche clinique en psychologie, nous préférons suivre Schmid-Kitsikis8 E. (1999), qui place la ligne de démarcation à un autre endroit, de manière à situer l'étude du fonctionnement psychique dans le cadre de la recherche en psychologie clinique dans la mesure où la psychologie clinique ne se spécifie pas uniquement par sa pratique clinique : celle des tests, des entretiens, des études de cas, etc. En effet, l'analyse des processus et du fonctionnement psychique fait partie de nos jours du domaine de la pratique en psychologie clinique et les recherches en psychologie clinique peuvent d'ailleurs être menées par des non cliniciens qui utilisent essentiellement des méthodes expérimentales dans l'étude de comportements de groupes pathologiques. Dans ces conditions, il s'agit simplement d'une démarche de recherche qui choisit le terrain de la psychopathologie pour étudier des comportements ou des activités psychologiques (mémoire, attention, langage, etc.) au moyen d'une démarche et d'une méthodologie expérimentales.

Selon nous, les liens qu'a établis la psychologie clinique au cours de son histoire encore récente avec les modèles de la psychanalyse, de la médecine, de la psychologie cognitive et de la psychologie développementale, ont considérablement développé son esprit d'ouverture quant aux choix qu'elle propose dans les voies de l'exploration psychique et de la recherche. Bien entendu, toute démarche de recherche en psychologie clinique renvoie à une exigence fondamentale pour le chercheur, celle d'une exigence de concordance entre les objectifs choisis pour l'exploration de la vie psychologique du sujet et les méthodes d'investigation adoptées.

Rappelons qu'il n'existe pas de recherche sans hypothèse, et lorsque celles ci n'apparaissent pas, c'est qu'elles sont implicites et doivent faire l'objet d'une explication claire. Alors, l'hypothèse générale qui sous-tend cette recherche s'inscrit dans la problématique générale suivante : si les retards développementaux et cognitifs des enfants sont directement dépendants des processus psychopathologiques engagés dans notre contexte clinique, il doit être possible d'identifier une logique de continuité entre les processus cognitifs et les processus psychiques plus généraux qui sont engagés dans ce cadre nosographique. Cette hypothèse générale s'inscrit ainsi dans le champ particulier qu'il est convenu d'appeler : les pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelle.

Une hypothèse est une affirmation portant sur la relation entre des faits et les mécanismes qui les produisent. Elle s'inscrit dans une problématique, c'est à dire dans un questionnement qui doit se référer à un cadre conceptuel déterminé et cohérent. Or, il découle de notre hypothèse générale deux hypothèses opératoires, chacune renvoyant à un corpus conceptuel épistémologiquement différencié :

Dans le contexte de recherche appliquée qui définit notre engagement, la question d'identifier en fil continu des arguments tangibles pour donner un sens (c'est à dire une compréhension et une direction) à l'accompagnement thérapeutique proposé aux enfants, n'est pas une question triviale, qui apparaîtrait "de surcroît" : cette question constitue la première motivation de la démarche de recherche.

Alors bien sûr, pour s'affranchir de cette tâche, il faudra catégoriser, classer, identifier des groupes de sujets. Ceci constitue le troisième point sur lequel il s'impose de s'expliquer au cours de cette introduction. En effet, le principe même de la catégorisation et de la classification s'avère ici nécessaire pour mettre en évidence les caractéristiques cognitives et psychopathologiques des enfants concernés par cette recherche, mais le malaise s'alimente du fait qu'en même temps il les insularise et les constitue comme une catégorie à part.

Notes
5.

Widlöcher D. (2002), Dictionnaire international de psychanalyse, cognitivisme et psychanalyse, Paris, Calman-Levy.

6.

Besche-Richard C. (2000), La psychopathologie cognitive, Paris, PUF.

7.

Bouyer S., Mietkiewicz M. C. (1998), Introduction à la psychologie clinique, Paris, PUF.

8.

Schmid-Kitsikis E. (1999), Pour introduire la psychologie clinique, Les topos, Paris, Dunod.