Première partie : La pédopsychiatrie a-t-elle un avenir ? L’intégration scolaire…

‘"La théorie c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne.
La pratique c'est quand tout fonctionne sans que personne ne sache pourquoi.
Ici, nous avons réuni théorie et pratique ; rien ne fonctionne et personne ne sait pourquoi."
AlbertEinstein.’

Si le handicap est un fait social, il est aussi un fait de discours dont l'utilisation permet, entre autres choses, d'endiguer la peur de l’étranger. Par le terme handicap, on rassemble les particularités et les différences pour les couler sous un même signifiant et maintenir sous contrôle la palette des fantasmes qui s’y réfèrent. Il peut s'agir de fantasmes évoquant la mutilation, la domination, la rivalité ; mais aussi la contagion et, pourquoi pas, la crainte d’une rétorsion pour une faute inconnue ou pour une jouissance secrète. Ce mot est donc le lieu d’une condensation au sein de laquelle s’empilent et se collent les représentations pour finir en un agglutiné dont il ne restera qu’une vague sensation que nous parvenons parfois à saisir sous la forme de l’étrangeté de l’étranger.

Conscient de ce réductionnisme, le discours social tente alors de classer, de hiérarchiser, chacune des manifestations du handicap en déficiences, incapacités ou autres désavantages 13, pour leur opposer les réponses sociales qui conviennent. Mais, comme un lapsus, surgissent parfois les termes de "handicap associé" pour noyer allégrement causes et conséquences, altération physique ou sensorielle et souffrance psychique. En réalité, ce discours est pris dans un double mouvement qui apparaît comme l’expression de nos contradictions internes. Tantôt propos moralistes marqués d’une idéalisation forcenée ou convergent humanisme militant et volonté politique pour une intégration inconditionnelle de toutes les différences au sein de la société civile. Tantôt réactions révélant l’effroi, l’insoutenable de la rencontre avec cette sensation que représente la crainte de l’étranger, et de conclure scientifiquement en la nécessité de concevoir des lieux spécifiquement adaptés aux besoins des usagers à travers des textes législatifs qui cachent parfois mal leurs portés élitistes et ségrégatives.

Depuis près d’un demi siècle, on ne peut qu’être étonné par le foisonnement des textes produits en faveur des enfants et adolescents handicapés. Successivement, ces textes ont toujours prétendu renforcer l’intégration dans les différents domaines de la vie, la formation générale et professionnelle. Encore récemment, la loi du 11 février 2005 place au cœur de la réforme le caractère obligatoire de l’intégration14sociale, scolaire et professionnelle. Mais, il faut se rendre à l’évidence et admettre que les représentations sociales n’évoluent pas conséquemment. La France reste l’un des pays européens les plus en retard sur cette question, et le poids des textes est peut-être là pour tenter de faire bonne mesure et de rattraper l’irrattrapable. L’accent mis sur l’effort d’intégration et d’adaptation, tant de la personne que des structures de soins qui ont à se mettre à son service, ne fait que produire un excédent de mesures officielles aptes à faire croire que le pouvoir omnipotent d’un dieu salvateur pense et définit le bien pour tous. Alors que de la réalité du terrain viennent tous les jours des démentis de cette omnipotence, une fois de plus cette "loi pour l’égalité des droits et des chances, de la participation et la citoyenneté des personnes handicapés" (février 2005) nous arrive d’en haut, comme une déclaration de bonnes intentions, sans évaluation approfondie des pratiques sur le terrain, ni de prise en compte de la diversité des expériences. Le malaise dans la civilisation s'enrichit de ses dénis et formations réactionnelles.

L’effort démesuré pour intégrer le handicap à une norme ne peut lui ôter son caractère irrationnel, son poids de réel. C’est oublier que l’intégration doit tout d’abord aboutir à une transformation des représentations mentales au sein même du microcosme où elle est expérimentée. La société est malade de ses visées destinées à standardiser, normaliser le bien pour tous. L'œuvre de Dieu, la part du diable ; elle n'entend pas l'enfant lui dire parfois qu'il ne sait pas comment faire voir qu'il n'est pas cet autre désiré pour lui, à sa place, et dont il ne veut pas. Comment faire voir ? Car c'est bien une affaire de regard avant d'être une affaire de loi. Aujourd'hui malheureusement, l'intégration ne se décrète pas, elle se gagne au quotidien sans même être certain qu'elle soit un jour possible dans toutes ses dimensions. Cette loi vise un idéal incontestable - en ce sens elle est utile - mais les conditions de son application manquent aujourd'hui singulièrement de lisibilité.

Notes
13.

Classification Internationale des Handicaps : déficiences, incapacités, désavantages (1988), CTNERHI, Paris, INSERM, diffusion PUF.

14.

Bien que le terme intégration ne figure pas dans l'énoncé de la loi.