1.1.1. Assimilation, intégration, insertion.

Selon le dictionnaire historique de la langue française17 (2000), le verbe assimiler est un emprunt au latin assimilare, lui-même composé de ad (à) et de simulare (simuler) où il s’agit d’abord de "rendre semblable à". Vers 1580, à partir d’Ambroise Paré, ce verbe prend la même définition physiologique que le terme assimilation, apparu antérieurement au verbe, qui signifie "intégrer et transformer en sa propre substance". Assimilation (1374) est, en effet, un emprunt au dérivé latin assimilatio qui renvoie initialement à l’intégration des aliments et au dérivé assimulatio, c’est à dire une simulation, une feinte, où l’idée commune de ces deux sources consiste également à rendre semblable. Ce n’est qu’au dix-neuvième siècle que ce concept se revêtira de son sens social qui fait référence à l’intégration d’un élément humain à un groupe culturel différent. Non sans ambiguïté puisque la notion d’assimilation porte en son sein l’effacement des écarts par l’absorption de ce qui peut se définir comme non moi et que nous retrouvons à travers la figure très actuelle de l’immigré. Elle convoque une attitude par laquelle un étranger doit adopter les us et les coutumes des autochtones et s’identifier aux citoyens de son nouveau pays.

De ce point de vue, l’assimilation est marquée par son dessein d’uniformisation qui vise, au départ, à maintenir l’homéostasie du corps et, par extension, à s’assurer de la pérennité d’un système. Le processus organisateur sous jacent repose sur le déni des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses, sociales ou affectives du sujet, de son histoire et de ce qui fonde son statut d’étranger. Nous allons voir que l'intégration relève d'une tout autre ambition.

Toujours selon le dictionnaire historique de la langue française, le verbe intégrer (1340) est un emprunt au dérivé latin integrare qui signifie "renouveler, recommencer" et, d’une manière imagée "recréer, refaire". Plus intéressant pour notre propos, il est utilisé à la fin du quinzième siècle pour dire "faire participer, associer", même si cette acception a aujourd’hui disparu. Après son développement dans le champ des mathématiques, il devient au début du vingtième siècle, en emploi didactique tout d’abord, puis dans sa forme courante, "faire entrer dans un ensemble en tant que partie intégrante". Le nom féminin "intégration", dans sa signification moderne, apparaît en 1700 où il est repris en mathématiques en même temps que "intégral". Par extension, il s’emploiera en science humaine pour désigner "l’action d’incorporer un élément dans un ensemble", c’est à dire l’opération par laquelle un individu s’incorpore à un groupe et réciproquement, il suggère les transformations nécessaires du groupe pour permettre à l’individu de réussir son adaptation.

C’est donc un processus interactif qui passe par une recomposition - un renouvellement, une recréation - pour faire une place à l’individu en tant que partie intégrante d’un système qui se reconstruit en se nourrissant des particularités de chacun des acteurs. Il suppose une transformation marquée par l’effort à accomplir pour qu’aucun individu ne soit exclu du système pour des raisons religieuse, économique, de sexe ou d’origine ethnique, personnelle ou affective. Au terme du processus, plus qu’une simple coexistence, le tout permet de rendre compte des parties et, à l’image d’un hologramme, chacune des parties contient en son sein le tout. Par rapport à l’assimilation, il s’agit d’aborder ici de manière radicalement différente la question de l’étrangeté dans l’étranger, même si le langage courant préfère utiliser le terme d’intégration alors que le contenu renvoie fréquemment, peu ou prou, à une conception assimilatrice du processus18. Comme dans le récit de Babel, il faut se rendre à l’évidence et reconnaître que l’intégration bute, la plupart du temps, sur la conflictualité naturelle de la nature humaine. Elle s’affiche comme un idéal, un but à atteindre, mais devant l’immensité de la tâche il lui arrive souvent de se replier sur une pratique moins ambitieuse et constituant un bon compromis entre l’intégration et l’exclusion, à savoir l’insertion.

L’insertion propose en effet une vision minimaliste du processus. Le terme insérer est emprunté au latin inserere, insertus, pour "introduire, intercaler". Insérer est donc d’abord utilisé dans la perspective de faire entrer un élément dans un ensemble19. Le nom insertion, quant à lui, connaît un développement sémantique parallèle à celui du verbe. Dans le même esprit, il signifie, en droit, intégrer (dans le sens d’ajouter) une partie à un texte déjà existant. Il sera repris en médecine par A. Paré (1562) pour décrire, en anatomie, le point de fixation d’un muscle sur le squelette dans le sens "être attaché sur" et, par extension, "greffer" un organe. C’est au vingtième siècle qu’il prend son sens figuré et qu’il est appliqué en parlant d’une personne dans le sens d’une entrée dans un groupe comme d’une insertion sociale. La notion d’insertion vient s’opposer à celle d’exclusion, elle apparaît comme le dernier rempart contre la marginalisation. Dans ce cadre, il n’y a pas de transformation en profondeur du système qui procède par extension, qui fait une place à l’étranger tout en le maintenant à la périphérie en préservant le lien social minimum en l’attente de la réalisation d’une promesse d’intégration. "Ainsi, insérer va d’abord consister à tenter de donner un rôle à chacun dans un réseau, dans un groupe, dans une structure institutionnelle ; permettre de nouer un certain nombre de relations sociales, de prendre place et statut, peut-être provisoire ou insatisfaisant, mais statut capable d’assurer cependant une sécurité minimale et l’amorce d’une autonomisation 20. " (Broyer G., 2002)

Assimiler, intégrer, insérer ; nous distinguons bien qu’entre ses trois concepts les représentations sociales sous-jacentes apparaissent très différentes. L’assimilation ne permet pas la transformation des représentations puisqu’il s’agit d’absorber l’élément assimilé de telle sorte qu’il s’identifie totalement aux valeurs du groupe. A l’opposé, l’insertion qui vise à prévenir la marginalisation en faisant une place aux côtés du groupe, ne permet pas non plus une véritable transformation des représentations sociales sous-jacentes. Tout au plus pouvons nous observer un élargissement des valeurs du groupe pour donner un rôle à l’élément inséré sans que ces valeurs soient fondamentalement remises en question. Seule l’intégration prétend aboutir à une véritable transformation des représentations sociales pour permettre l’expression de pratiques radicalement nouvelles qui recomposent totalement la dynamique du système.

Notes
17.

Le dictionnaire historique de la langue française, sous la direction de A. Rey, Paris : Le robert, 2000 - 3 vol

18.

L’assimilation étant un concept négativement connoté, car trop chargé d’un point de vue idéologique, il convient souvent de parler d’intégration tout en pensant, à notre insu, à l’assimilation.

19.

Donc pas du tout l’idée de son homonyme, inserer issu de serere, satus, qui veut dire "planter, semer".

20.

Ibid, p.130.