L’une des caractéristiques essentielles des représentations sociales est l’existence d’un accord les unissant aux pratiques qui leur correspondent. C’est là un point clé qui doit particulièrement être relevé, notamment pour son corollaire selon lequel toute pratique nous informe sur les représentations sociales qui participent à son expression. Autrement dit, examinons les pratiques car elles seules renseignent correctement sur l’état de transformation des représentations sociales en matière d’intégration scolaire.
En France, les textes législatifs et réglementaires, signés par les responsables politiques depuis 1975, démontrent que l’éducation nationale est résolument tournée vers l’intégration scolaire de tous les enfants, quelles que soient leurs difficultés. Pourtant, les familles d’enfants handicapés constatent quotidiennement que c’est encore le parcours du combattant et que la réalité est loin de répondre à leurs attentes. Sur le terrain, il est souvent difficile d'obtenir l’application des textes réglementaires et, une fois obtenue, encore faut-il vaincre les résistances de l’école pour reconnaître qu’un enfant souffrant d’une différence a besoin de plus de compétences et de soins que les autres, précisément pour lui permettre de vivre comme et avec les autres. Si l'intégration scolaire apparaît comme un idéal politique, force est de constater que c'est plutôt l’insertion scolaire qui s'affirme comme l'exercice pratique de cette utopie. Face à ce qu'il faut donc bien appeler l'échec de la politique d'intégration scolaire en France, le législateur, fort de son omnipotence veut faire plier les acteurs sur le terrain et enfonce le clou avec la loi du 11 février 2005. Dans le sillon de ce texte récent, un nouveau label fait surface, comme un symptôme, aux côtés des trois précédents : l'inclusion scolaire.
Le concept ne manque pas d'humour, il porte en lui le contenu latent de la formation réactionnelle. Le terme est emprunté au dérivé latin classique inclusio qui veut dire "emprisonnement" et employé en latin chrétien au sens de "réclusion". Il sera repris en français classique pour désigner l'action de déclarer inclus (inclusius qui signifie "enfermé" ou "renfermé"). De quel enfermement s’agit-il ?
En novembre 2005 à Grenoble, un colloque tenu à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres affiche le titre suivant : « L’école pour tous ! De l’intégration à l’inclusion , quels changements qualitatifs ? ». En ouverture des débats M. Hervé Benoit, directeur adjoint du Centre National d’Etudes et de Formation pour l’Enfance Inadapté (CNEFEI), déclare avec confiance :
‘« Pourquoi un colloque sur cette thématique de l’école pour tous ? Ce n’était donc pas le cas ?…On pourrait croire effectivement que c’est une évidence depuis longtemps. En fait, de nombreux enfants ont été scolarisés à l’écart, dans d’autres types d’établissements ou au sein de l’Education Nationale, mais dans des classes séparées. Nous sommes désormais dans la logique d’une école pour tous, où chaque enfant doit trouver sa place, qu’il soit ou non en situation de handicap. »’Le discours ne manque pas de panache et l’auditoire écrase une larme. Mais soyons sérieux, nous apprenons qu’une intégration qui passe par des classes séparées à l'intérieur d’un groupe scolaire ordinaire ne mérite même plus le label de "Classe d'Intégration Scolaire" (CLIS), alors que ces dispositifs viennent tout juste de trouver leur place au sein d’une communauté enseignante qui reste encore en grande partie convaincue que le handicap ressort d’une prise en charge spécialisée en dehors de l’école publique. Sur le terrain, il paraît évident qu'un long travail reste à accomplir, patiemment, avant que ne soient levés les inhibitions naturelles des pédagogues confrontés à la violence de la rencontre avec le handicap. Si l'inclusion dans les classes ordinaires des enfants présentant des handicaps sensoriels ou moteurs semble effectivement réalisable à court terme21, qu'en est-il des enfants présentant une grave souffrance psychique et qui risquent de vivre cette nouvelle situation comme un enfermement ? Un long travail d’accompagnement de l’enfant, des familles et des enseignants, est ici nécessaire. Ce travail doit pouvoir se réaliser à travers des dispositifs capables de faire varier les situations d'intégration scolaire au gré des aléas de la vie psychique de l'enfant, alternant les expériences d'intégration dans les classes ordinaires et les possibilités de reprise dans le cadre plus personnel et plus intime de la classe spécialisée.
Par ailleurs, cet accompagnement doit également être effectué sur le fond d’une clinique de l’effroi, ne serait-ce que pour dépasser l’énigme de l’origine et cette douloureuse question du « pourquoi » qui restera à jamais sans réponse. On ne peut qu’être admiratif devant l’importance du travail accompli lorsque l’écrivain japonais Kenzaburo Oe, prix Nobel de littérature en 1994 et père d’un enfant handicapé, déclare : "La naissance d’un enfant handicapé est tragiquement normale : l’expression s’il en fut de l’absurdité de la vie". Combien d'années, d'expériences et de difficultés dépassées, pour parvenir à cette vérité ?
En fait, l'apparition de la notion d'inclusion dans le débat concernant la scolarisation des enfants en situation de handicap suscite de nombreuses interrogations. Si l'utilisation de ce terme est mal accepté en France, c'est parce qu'il est guère utilisé dans notre culture pour désigner des processus concernant des personnes, alors qu'il est courant en langue anglaise, souvent couplé à l'expression éducation inclusive. Contrairement à l'intitulé du colloque évoqué ci-dessus, il n'y a pas lieu de vouloir évoluer de l'intégration à l'inclusion, tout simplement parce que ces deux expressions n'ont pas la même signification dans les différents pays et que chacune d'entre elles peut être utilisée à la place de l'autre. En France, le terme d'inclusion se limiterait à des pratiques d'accueil dans une classe ordinaire sans réflexion sur les conditions nécessaires à cet accueil. En Angleterre c'est plutôt sous le terme d'intégration que l'on désigne cette seule présence physique, alors que le terme inclusion implique une appartenance pleine et entière à la communauté scolaire et que les pratiques relèvent plutôt de ce que nous appelons intégration. En Italie, l'intégration est couramment utilisée, alors que la politique éducative se place dans la perspective de l'école inclusive, etc. L'utilisation de cette notion en France n'a pas de sens, si ce n'est d'introduire un sentiment d'urgence et d'affirmer brutalement le droit pour tous les enfants à être scolarisés dans leur école de quartier. Si l'on partage bien entendu cet objectif, nous restons néanmoins prudent quant à sa réalisation immédiate.
On ne peut que regretter (même si l’on comprend l’intention du législateur) que les dernières dispositions législatives et réglementaires renvoient ainsi, face à face, les familles et les institutions. On aurait pu s’appuyer sur l’expérience des professionnels engagés depuis de longues dates dans l’intégration scolaire. Des professionnels qui ont pu prendre la mesure des enjeux sur le terrain et qui connaissent l’importance de la démarche qui consiste à laisser un grand degré de liberté aux initiatives locales et de s’enrichir d’une diversité de modèles possibles, en cohérence avec le caractère composite de cette notion trop générale de "handicap". Au lieu de ça, on déclare que l’enfant doit trouver sa place dans une classe ordinaire. Quelle place et pour qui ? Et l’on rajoute ; " qu’il soit ou non en situation de handicap ", c’est à dire dans le déni de sa différence.
L’enfant de la réalité est pris dans les mailles du filet du deuil impossible de l’enfant imaginaire. Le mythe de l’enfant réparé, rééduqué, soigné est placé au cœur d’une pensée opératoire qui s’organise à partir du modèle de la compensation par des moyens humains (les Aides de Vie Scolaire) ou technologiques (matériel informatique) pour faciliter l’inclusion dans le système scolaire. Des moyens qui révèlent certainement tous leurs sens dans le contexte des handicaps moteurs ou sensoriels, mais si peu adaptés dans le cadre des handicaps psychiques. Nous remarquons bien, que dans l’intitulé l’école pour tous, le pluriel décliné dans le tout vient défier le singulier d’une école qui se raidit à chaque fois qu’il est question de composer avec la diversité.
En conclusion, une réforme attendue et nécessaire, mais une absence de préparation sur le terrain et une précipitation dans son application qui risque de générer de nouvelles formes d'exclusion. Le vote de la loi du 11 février 2005, les besoins des familles, les ouvertures des maisons départementales du handicap, l’évolution des conceptions nationales pour l’inclusion des personnes handicapées, supposent dans les années à venir de profonds changements dans l’organisation actuelle des dispositifs d’enseignement et médico-sociaux, alors même que l’école et les familles d’enfants handicapés sont loin d’avoir vidé le contentieux.
La loi de février 2005 prévoit des moyens techniques et humains pour accompagner l'inclusion de l'enfant dans une classe ordinaire. L'esprit de la loi fait référence au droit de la personne à la compensation de ses déficits par cet apport technologique et humain, dans une perspective de réduction des inégalités. Il reste à discuter cette notion de compensation du handicap qui, si elle apparaît certainement adaptée dans le cadre des handicaps sensoriels ou moteurs, reste particulièrement inadaptée dans le cadre de la clinique psychopathologique.