1.2.2. L’école, l’hôpital et les internats spécialisés.

C’est véritablement à la libération que s’accélère le développement des institutions spécialisées, un demi siècle après Bourneville D.M. qui projetait un asile-école à direction médicale, les familles imposent une institution-école, proche de la normalité, à direction pédagogique.

Il est alors intéressant de noter que la logique propre à l’institution scolaire, tout en poussant à orienter les éléments les plus incontrôlables en dehors du cadre de l’instruction publique, rencontre à ce moment précis les intérêts des internats spécialisés en grand développement. Deux acteurs sociaux seront les promoteurs directs de ce développement : d’une part le neuropsychiatre d’enfants, et avec lui le développement des techniques de rééducations, d’autre part les familles elles mêmes des enfants inadaptés. Un certain nombre de médecins souhaitent faire évoluer le champ de l’enfance inadaptée vers un projet qui participe d’un cadre plus général lié au développement de ce qui se définit comme une médecine sociale, opérant une rupture d’avec les conceptions héritées du mode de traitement des maladies aiguës. En refusant l’alternative curable / incurable, ces médecins souhaitent mettre en oeuvre une technologie médicale dont la prévention, le dépistage et la rééducation constituent les notions fondamentales.

C'est bien cette rupture avec la notion d’incurabilité qui permettra l’investissement économique et social nécessaire pour assurer la constitution d’un champ institutionnel spécifiquement fondé sur la prise en charge des enfants inadaptés. En cette période d’après-guerre, où la reconstruction est à l’ordre du jour, et où la "sécurité sociale pour tous" s’est délivrée de ses accents d’utopie, le champ de l’enfance inadaptée s’élargit et se segmente, en se constituant de surcroît en dehors de l’hôpital psychiatrique et de l’école.

Il est nécessaire de rappeler ici à quel point le climat de l’époque souligne l’importance de la famille comme valeur sociale. De fait, l’incarnation d’un mythe familial à base d’amour et de chaleur affective sera considérée comme la meilleure réponse aux besoins de l’enfant en handicapé. Il se constitue ici ce que Fustier P. (1987) appelle une " zone idéologico théorique 39  " qui tend à organiser l’institution spécialisée comme une reproduction du modèle familial. Une théorie spontanée de l’inadaptation en constitue le fondement : "Ces enfants sont inadaptés car ils ont manqué d’amour 40". L’organisation institutionnelle de l’internat va s’approprier ces caractéristiques maternelles pour constituer des structures inclusives auxquelles rien n’échappe et contenant dans leur ventre la totalité des éléments dont auraient besoin les enfants qui y sont placés. On trouve à l’intérieur des murs le groupe éducatif (groupe familial), l’école, l’atelier, le terrain de sport...etc. Tout est placé à l’intérieur de l’enceinte, comme si la nécessité d’un ailleurs était niée. L’imago maternel archaïque au travail dans l’invention de l’internat fonctionne en permanence au cours de cette période. De fait, l'enfant handicapé mental est systématiquement retiré de l'école ordinaire jugée techniquement incompétente pour en assurer la responsabilité, et confié à l'établissement spécialisé qui dispose du personnel qualifié et des moyens techniques pour prendre en charge l'éducation des enfants.

Ainsi, vers la fin des années cinquante le champ de l’enfance inadaptée se répartit entre :

  • l’école et les classes de perfectionnement pour les retards mentaux légers,
  • les internats spécialisés portés par les grandes associations familiales, pour les troubles de la personnalité et du comportement ainsi que les retards mentaux invalidant un projet d’intégration scolaire,
  • enfin les pathologies les plus graves, les plus dépendantes, sont réservées à l’hôpital psychiatrique.

Notes
39.

Fustier P. (1987), "L'infrastructure imaginaire des institutions", in L'institution et les institutions, Paris, Dunod, p.134.

40.

Ibid,p.134