1.3.3. Conclusion : l’entre deux institutionnel ; entre soin et éducation. 

L’ensemble du dispositif que nous proposons vise à maintenir l’enfant dans son statut d’élève via une intégration scolaire conçue et élaborée au cas par cas et modulable au gré des aléas de sa vie psychique. Ce caractère malléable est essentiel à nos yeux, il fait partie intégrante du projet thérapeutique. Il doit permettre à l’enfant de se reconnaître progressivement à travers un itinéraire qui lui permet d’imprimer sa marque et sa différence, dans un fonctionnement qui ne l’assujetti pas à des lois et rythmes uniquement centrés sur les aspects collectifs, peu propice au travail de différenciation psychique que tout dispositif soignant doit soutenir auprès de l'enfant.

Ce travail de différenciation se réalise au fil du temps où les activités réalisées par l’enfant sont autant de matières à symboliser, en découpant sur le fond du temps scolaire des séquences signifiantes, des espaces symboliques qui se construisent toujours dans le champ d’une relation avec un adulte, dans le champ de l’altérité.

Du côté des adultes, c'est donc un travail d'accompagnement au quotidien qui se met en scène. Il peut prendre plusieurs formes : un travail au sein de l'école dans le cadre d'activités périscolaires ; un accompagnement individuel de l'enfant à l'intérieur aussi bien qu'à l'extérieur du groupe scolaire ; une approche centrée sur la remédiation des acquis scolaires ou la rééducation de troubles instrumentaux ; une démarche thérapeutique reposant sur des dispositifs groupaux ; etc.

Du côté de l'enfant en situation d'étayage, c’est à partir des expositions répétées à des expériences vécues qui prendront progressivement un caractère différencié, parce que séquentialisées, que l’enfant va reconnaître et nommer les moments de sa vie quotidienne dans le cadre de l’intégration scolaire. Cette représentation de l’expérience subjective est d’abord une représentation "d’être en relation avec quelqu’un à un moment donné", liée à la répétition de séquences invariantes d’évènements pris dans le champ de la rencontre. De cette répétition se dégage progressivement ce que Stern D. (1993) nomme une " forme temporelle de sentiment 54", véritable contour temporel de l’expérience ou trame temporelle de l’éprouvé à partir de laquelle se construit la ligne de tension narrative.

Il nous semble en effet que tout dispositif thérapeutique auprès d’enfants présentant ces formes de pathologie doit proposer un étayage de la narrativité. Cet aspect constitue le fond sur lequel se détache l’ensemble des interventions exposées à partir du schéma précédent et concerne, à des niveaux différents bien entendu, aussi bien certaines propositions pédagogiques que les interventions de l’équipe soignante auprès de l’enfant (accueil séquentiel, prise en charge individuelle ou en groupe, accompagnement individualisé dans le cadre scolaire ou hors du cadre scolaire, etc.). Tout au long de cet itinéraire personnalisé marqué par les rencontres et qui apparaît souvent complexe pour l’observateur extérieur, l’enfant va pouvoir faire émerger une trame narrative, une histoire à raconter pour pouvoir se la raconter comme l’ont si bien illustré les travaux de Hochmann J.(1984) et de son équipe55.

Ces rencontres attendues se découpant sur le fond de l’expérience scolaire ne sont pas en effet sans rappeler les enjeux essentiels qui président à l’émergence de la temporalité au début de la vie psychique. Dans l’ontogenèse psychique, c’est la répétition des expériences, des échanges entre le bébé et sa mère qui permet dans un premier temps, selon un repère temporel, de relier, d’établir des ponts entre ces différentes expériences de telle sorte que la première pensée se détachant de l’activité perceptive serait une pensée sur la temporalité, le bébé n’accédant que dans un second temps à leur figurabilité.

Nous reconnaissons ici ce que Marcelli56 D. (2000) appelle les macrorythmes qui garantissent le tissage narcissique de l’enfant et qu’il oppose aux microrythmes, illustrés par les jeux de surprises aménagés par l’environnement maternel, dont la fonction est d’introduire la dimension d’un écart dans la dyade mère bébé, écart seul à même de permettre la tolérance entre ce qui est attendu et ce qui advient. Dans le contexte de l’intégration scolaire cette tolérance, qui se développe chez le bébé à travers les manquements maternels et qui lui permet de dégager la dyade de la symbiose potentielle, est remise en jeu à partir des aléas liés à la vie scolaire, à l’intensité des échanges, des circulations intra-institutionnelles et des expériences de séparation qui rendent acceptable et pensable le désengagement relationnel. A partir du cadre mis en place par cette démarche d’intégration scolaire, au fil des expériences quotidiennes, macrorythmes et microrythmes s’agencent réciproquement au gré des aléas de la vie psychique de l’enfant.

Ainsi, malléabilité, différenciation, narrativité sont-ils les trois objectifs généraux de cette entreprise. L’émergence de la temporalité et, secondairement, les rapports que le sujet entretient avec la temporalité, seront les conditions nécessaires à l’édification de ce triplex.

Rappelons pour conclure que les adultes qui acceptent de travailler dans ce contexte se situent au-delà de leur spécificité professionnelle. Ils sont en effet partie prenante des objectifs généraux du projet avant d'être identifiés en fonction de leur spécialité. De même, le service de pédopsychiatrie ne constitue-t-il plus le cadre privilégié de leurs interventions puisqu'ils réservent une grande partie de leurs actions au terrain scolaire. Enfin, ils accordent un intérêt prépondérant à toutes les formes de difficultés qui constituent un obstacle aux apprentissages scolaires et à l'intégration psychosociale de l'enfant au sein du groupe scolaire. Comme nous l'avons déjà précisé, les troubles cognitifs sont repris par l'équipe soignante, au même titre que les troubles du comportement et de la personnalité, comme du matériel clinique et psychopathologique. Cette nouvelle posture théorique suppose une inscription dans une perspective intégrée liant les approches dynamiques, cognitive, neuropsychologique et, voire même, pédagogique et didactique.

S’engager dans un projet de soins qui place au premier plan le principe de l’intégration scolaire et qui affiche son ambition pour le développement d’une alternative à l’hospitalisation de jour, suppose un minimum de justification théorique de la part des promoteurs de ce projet. Il ne s’agit pas de se contenter de mettre en avant le caractère moderne, ou novateur, d’une telle initiative, ou de prôner la rupture avec les modes traditionnelles d’organisation des soins psychiques donnés aux enfants. Il ne s'agit pas non plus de remettre simplement en question les supports institutionnels, ainsi que leur inscription dans le champ social, il s’agit d’expliquer de quelle manière l’intégration scolaire suppose un remaniement théorique concernant, tant les modèles développementaux utilisés en psychologie de l’enfant, que les conceptions du soin psychique en pédopsychiatrie. Il s'agit de replacer la dimension développementale au premier plan et démontrer que l'intérêt particulier porté sur l'analyse des troubles cognitifs et intellectuels des enfants s'intègre dans une démarche plus générale qui est pertinente cliniquement et cohérente institutionnellement. Nous souhaitons défendre l'idée selon laquelle les processus psychiques mobilisés à partir de la situation d'intégration scolaire participent pleinement à l'action de soin et ne se résument pas au simple fait de générer des "contraintes d'adaptation" chez l'enfant.

Notes
54.

Stern, D. 1993. "L'enveloppe prénarrative", in Journal de psychanalyse de l'enfant, vol 14, p 13-65.

55.

Hochmann, J. 1984. Pour soigner l'enfant psychotique, contes à rêver debout, Privat, Toulouse.

56.

Marcelli, D. 2000. "L'attente trompée ou le manquement maternel", in La psychiatrie de l'enfant, vol XLIII, 1, Paris, PUF, p 23-54.