1.4.2.4. La place de l'école.

C’est lors de l’appropriation par l'enfant des outils de sa culture que s’ouvre au sein de la pensée conceptuelle un espace en creux à l’intérieur duquel, par un travail de transformation, se développent les concepts formels qui permettront progressivement de penser la pensée. C’est en étayage sur ce que Vygotski L. nomme les concepts spontanés, inconscients et déjà présents chez l’enfant, que s’effectue ce travail de transformation. Ici, les concepts spontanés se caractérisent par le fait que l’enfant effectue au sein de son expérience, par son contact avec son environnement physique et humain, de façon non consciente, certaines opérations de pensée qui sous-tendent les savoirs-faire et qui s'apparentent à ce que Sternberg65 R. J. (2005) décrit sous la forme de l’intelligence pratique par opposition à l’intelligence académique. Ce processus qui engendre le développement des concepts spontanés est en marche dès le début de la vie, bien avant les premiers contacts avec l'école, puisque le bébé est doté dès le départ des fonctions psychiques élémentaires qui elles sont indifférenciées66.

Au cours de son développement et en dehors des expériences formelles d'enseignement-apprentissage en situation scolaire, l'enfant met en œuvre des processus de pensée, bien qu'il n'ait pas conscience de ses propres opérations puisqu'il n'en fait pas l'objet de son attention. Mais c’est surtout dans le cadre de la scolarité que se développent, par opposition aux concepts spontanés, les concepts non-spontanés qui ouvrent la voix vers une pensée consciente d’elle-même par laquelle le sujet contrôle les relations qu’il établit entre les différents concepts (autrement dit, penser la pensée). La pensée s'ouvre peu à peu à l'édification d'un système conceptuel à l'intérieur duquel les concepts s'emboîtent hiérarchiquement et se subsument les uns aux autres. Comme nous l'avons évoqué précédemment, ce processus s’effectue en arrière fond des situations d’enseignements-apprentissages elles-mêmes puisque le développement de l'enfant ne se limite pas à l’intégration des contenus et à la construction des capacités ;

‘« Il y a un processus d’apprentissage scolaire ; celui-ci a sa structure interne, son enchaînement, sa logique de développement ; et intérieurement dans l’esprit de chaque écolier pris isolément, il y a en quelque sorte un réseau interne de processus qui bien qu’ils soient suscités et mis en mouvement au cours de l’apprentissage scolaire ont leur logique propre de développement67 »’

Ainsi, les apprentissages scolaires ne produisent pas du développement mais ils mettent en mouvement des processus internes, un travail intérieur de conceptualisation qui suivra une longue élaboration. Ce travail concerne toute la dialectique entre concepts spontanés inconscients et concepts non-spontanés conscients, une dialectique qui s’établit dans le cadre de la situation scolaire. Vygotski L. critique ici fermement la position de Piaget J. qui, selon lui, ne cherche qu'à débusquer la pensée spontanée de l’enfant et fait ainsi l’impasse sur le deuxième pôle de la pensée, ce qui ne peut que le conduire à sous-estimer le rôle de l’école, et plus largement les facteurs socio-culturels, au cours du développement.

Notes
65.

Sternberg R. J. (2005), "Culture et intelligence", L'intelligence de l'enfant, Colloque international sous l'égide de la Fédération Française des Psychologues et de Psychologie, Du 6 au 8 octobre 2005, Maison de la Mutualité, Paris.

66.

Notons à cette occasion que les fonctions élémentaires évoquées par Vygotski nous rappellent étrangement les compétences précoces mises à jour dans le cadre des recherches contemporaines. Compétences concernant un traitement perceptif, amodal au début de la vie, se différenciant progressivement, dans le plein de l'interaction avec l'environnement, pour donner lieu à des généralisations et à des mises en relations.

67.

Vygotski L. S. (1985), Pensée et langage, Paris, Messidor Editions Sociales, p 268.