1.4.2.5. Conclusion.

Comme Piaget J., Vygotski L. s’intéresse au développement des processus supérieurs. Pour l’un comme pour l’autre, le concept de constructivisme, donc d’activité, est au centre de leur approche. Par contre, ce développement ne s’explique pas de la même façon pour ces deux auteurs : mécanismes internes d’équilibration pour l’un, appropriation d’activités humaines historiquement construites et transformation au cours de ce travail des fonctions psychologiques déjà existantes pour l’autre. Piaget J. met les apprentissages à la remorque du développement pendant que Vygotski L. affirme que les apprentissages anticipent le développement chez l’enfant, sans pour autant retomber dans une conception simpliste de type associationniste.

Dès lors, l’importance que chacun de ces auteurs accorde à l’école et aux apprentissages scolaires au cours du développement est-elle radicalement différente : une grande méfiance et un rôle secondaire du côté de la théorie opératoire, une place centrale pour Vygotski L. qui considère que l’école est le lieu de rencontre avec les contenus les plus élaborés qu’une société humaine peut produire au cours de son histoire. Si l'apprentissage permet le développement, l'école est à la fois l'endroit par excellence au sein duquel le processus d'émergence et de consolidation des fonctions psychiques supérieures pourra se réaliser, et le moyen par lequel l'enfant pourra potentialiser son développement.

En psychiatrie de l'enfance, il n'est ainsi plus tenable aujourd'hui d'envisager de remettre à plus tard le temps de l'apprentissage scolaire puisque la scolarité occupe une place centrale dans la mise en jeu du processus développemental. Le contexte de l'enseignement-apprentissage, en situation scolaire, loin d'apparaître comme une toxine, apparaît maintenant comme un terrain d'apprentissage indispensable à la réalisation de l'ontogenèse de la pensée humaine. L'école devient le lieu par excellence où sont mis en relation l'enfant et les outils de sa culture ; la scolarisation participe à l'émergence du processus même de développement. De ce point de vue, l'intégration scolaire est consubstantielle des soins prodigués en psychiatrie de l'enfant.

En installant l'école au cœur du processus développemental, les travaux de Vygotski L. ont mis en évidence le rôle important du soutien interactif au cours des apprentissages scolaires. Ces travaux nous alertent sur la nécessité de porter une attention toute particulière quant à la nature des dispositifs institutionnels qu'il convient d'imaginer pour permettre l'accompagnement des enfants en situation de souffrance psychique graves. En effet, si le constructivisme social nous a permis de réviser nos conceptions thérapeutiques en intégrant l'école à la démarche de soin mise en œuvre dans ce contexte pathologique, il ne s'agit pas pour autant de se contenter d'immerger l'enfant dans un cadre scolaire ordinaire. Encore faut-il créer les conditions qui lui permettent de bénéficier de ce soutien interactif en inventant des formes de partenariat (école/santé) capables de s'ajuster à ses besoins.

Le dispositif qui constitue le cadre de cette thèse introduit deux caractéristiques essentielles pour l'avenir des pratiques en pédopsychiatrie, tant du côté des modèles théorico-cliniques que de la dimension institutionnelle. En ce qui concerne les modèles, il s'agit de recentrer la définition du soin autour des aspects développementaux ; du point de vue institutionnel, il est question d'intégrer le scolaire dans son cadre socialement identifié (l'école) et d'envisager l'expérience scolaire comme l'épicentre de la démarche de soin. Le constructivisme social a largement contribué à ce double renversement des pratiques et du cadre de ces pratiques.

Le reproche qui est le plus souvent adressé aux tenants de cette nouvelle orientation consiste à les accuser d'exposer l'enfant à des situations d'apprentissage qu'il ne pourrait pas assumer. Cette remarque s'inspire d'une conception défectologique de la psychopathologie de l'enfant selon laquelle, dans les situations les plus sévères, les troubles de l'enfant montreraient un ralentissement (voire un arrêt) d'un développement qui s'effectuerait selon une succession précise de stades. Il serait donc néfaste d'exposer l'enfant à des situations d'apprentissages scolaires avant de lui avoir permis d'accéder à un certain niveau de développement (ce que l'on nomme généralement les "pré requis"). Pour répondre à cette interrogation, il faut aller un peu plus loin avec le constructivisme social d'une part, et compléter notre réflexion par les apports récents de la psychologie du développement, d'autre part. Tout d'abord le constructivisme social.