1.5. Conclusion de la première partie

Au cours de la seconde partie du 20ème siècle les conceptions dominantes en psychologie de l'enfant envisageaient le développement de l'enfant comme un processus interne se déployant le long d'une ligne unidirectionnelle selon un ordre de succession de stades à caractère universel. En s'appuyant sur le paradigme constructiviste et en plaçant au premier plan la capacité d'action sur l'environnement, la théorie opératoire de Piaget J. a largement contribué au fait de concevoir l'organisation de la pensée chez l'enfant comme un exercice solitaire.

Ces modèles ont manifestement sous-estimé l'importance des interactions sociales, du langage et des apprentissages cognitifs dans la mise en œuvre du processus développemental. Dans le contexte de la psychopathologie de l'enfant, notamment des troubles envahissants du développement, ils ont indirectement participé au fait de donner la priorité à une dimension soignante centrée sur les troubles de la personnalité au détriment d'une prise en compte des apprentissages cognitifs et scolaires.

La critique développée par le constructivisme social a permis de compléter les connaissances en psychologie de l'enfant et a conduits à réexaminer les dispositifs thérapeutiques. En situant les apprentissages comme préalables au développement, en réintroduisant l'intersubjectivité au cœur de la dynamique interactionnelle, ce courant est venu corriger le point de vue constructiviste pour préciser qu'il n'est pas suffisant de restaurer la capacité d'action de l'enfant pour libérer les apprentissages et réengager le processus développemental.

Par ailleurs, l'approche dynamique de l'intelligence dans une perspective évolutionniste et les apports du courant du développement précoce nous invitent à considérer avec prudence le postulat d'un développement linéaire s'affranchissant d'étapes successives. L'enfant est d'emblée préparé à apprendre et dispose pour cela d'un riche répertoire de compétences qui ondulent "comme une série de vagues qui se chevauchent, chacune correspondant à un mode de pensée ou à une stratégie différente 87". Une approche qui remet en question la notion même de pré-requis.

Dès le début de la vie psychique, le développement est sculpté, modelé, au contact des activités supérieures de la culture, en arrière plan d'un travail d'appropriation qui doit s'effectuer dans un contexte d'étayage. Ainsi, l'école occupe une place centrale dans le cadre de ce processus tant, du point de vue des situations d'enseignement-apprentissage qu'elle met en scène, que par le bain d'interactions sociales dans lequel l'enfant est immergé. La scolarisation de l'enfant apparaît indispensable au bon déroulement du processus développemental.

Au cours de cette première étape de la thèse, des arguments historiques et théoriques ont été apportés pour indiquer qu'une partie de l'avenir de la psychiatrie de l'enfance et de l'adolescence semble se jouer à travers sa capacité à investir l'espace scolaire comme une alternative à l'hospitalisation de jour. Tout au moins en ce qui concerne les enfants qui présentent des troubles psychopathologiques sévères liés à des retards de développement. Dans ce contexte, des psychiatres novateurs comme Hochmann J. ont choisi cette voie depuis de nombreuses années déjà.

D'un point de vue plus général, il faut d'ailleurs reconnaître que cette pratique d'intégration scolaire s’est progressivement développée au cours de ces dix dernières années, au point d’apparaître actuellement comme une orientation généralement préconisée dans le cadre des actions éducatives et de santé. L'interrogation ne porte plus sur la question de savoir si l'on doit joindre aux soins, dans une perspective intégrée, une intégration scolaire de l'enfant. La réflexion repose maintenant sur le "comment" de la mise en œuvre de cette intégration. Assimilation, intégration, insertion et maintenant inclusion, les modèles s'affrontent et les lignes de tension se font jour à partir de ces différentes propositions, sans que ne soient clairement repérés, ni les types de pathologies concernés, ni les argumentations théorico-cliniques sous-jacentes.

Lier la pédagogie et le soin ne consiste pas à immerger un enfant souffrant de troubles psychopathologiques graves et suivi par le service de psychiatrie infanto-juvénile dans une classe ordinaire de l'école publique. Encore faut-il concevoir un dispositif d'accompagnement dans le cadre de son intégration psychosociale avec le soutien nécessaire aux investissements affectivo-émotionnels et à la mise en œuvre des processus de pensée engagés dans les apprentissages. Le dispositif que nous proposons s’appuie sur un équilibre sensible entre la scolarisation dans les classes spécialisées, des temps d’intégration dans les classes ordinaires, des participations aux activités collectives de l’école, les prises en charge à Graffiti, des accompagnements individuels dans ou hors le groupe scolaire…, l’ensemble définissant un projet personnalisé, malléable et adapté aux possibilités de l’enfant, au gré des aléas de sa vie psychique. Intégrer aux soins les préoccupations pour les apprentissages nécessite de penser un cadre qui n’expose pas l’enfant à l’échec et qui s’inscrit dans le respect de ses capacités d’adaptation.

Dans ces conditions, il semble que l'avenir de la pédopsychiatrie se dessine à partir de sa capacité à inventer des dispositifs originaux qui devront répondre à un certain nombre de caractéristiques :

En ce qui concerne l'évaluation cognitive dans le cadre du dispositif qui concerne cette thèse, il faut préciser que l'orientation vers l'intégration scolaire est généralement proposée aux enfants pour lesquels, malgré les troubles psychopathologiques et les faibles performances cognitives, des potentialités d’apprentissage sont suffisamment repérées. En psychiatrie de l’enfant, l’estimation des potentialités d’apprentissage s’appuie la plupart du temps sur l’observation clinique directe de l’enfant dans le cadre des diverses activités thérapeutiques à support institutionnel. Elles sont également précisées à partir du cadre plus dirigé que constitue le recours aux batteries d'évaluation de l’intelligence. Si ces tests sont précieux pour une pratique quotidienne, ils s’avèrent souvent décevants par les faibles performances qu’ils révèlent auprès d’une population d’enfants présentant des troubles psychopathologiques importants, et pour lesquels l’altération des processus de pensée rend chaotique le déroulement des procédures sollicitées par les différentes tâches qui composent les tests. Ces échelles de développement intellectuel s’avèrent ainsi difficilement interprétables en terme de potentialités, ces dernières se définissant précisément comme ce qui reste silencieux et qui ne se livre pas directement à l’observation. Or, il est maintenant établi que la seule évaluation des performances cognitives générales des enfants n'est pas suffisante dans le cadre de l'intégration scolaire. Aujourd'hui, il est indispensable de se doter d'outils susceptibles de permettre une mesure plus transversale des capacités de l'enfant qui se situerait en deçà du simple constat des performances mesurées à partir des échelles de développement.

Ainsi, au terme de cette première partie, est-il possible de formuler l'objectif général de ce travail : entreprendre une étude descriptive des caractéristiques cognitives des enfants bénéficiant du dispositif d'intégration scolaire , pour étudier la nature des contraintes exercées par les processus psychopathologiques sur les opérations de pensée . Une telle entreprise n'a de sens que si sa finalité contribue effectivement à définir les orientations essentielles des modalités thérapeutiques mises en œuvre à partir du dispositif d'intégration scolaire. Il s'agit donc d'une tâche ambitieuse qui implique de lier deux approches qui habituellement s'excluent l'une et l'autre.

D'un côté, l'évaluation cognitive doit concerner un champ d'exploration suffisamment large pour permettre à la fois le recueil des caractéristiques cognitives globales de la population clinique et, également, une mesure des capacités d'apprentissages qui sous-tendent ces performances. D'un autre côté, l'étude des liens de continuité entre processus psychiques et processus cognitifs doit constituer le paradigme à l'intérieur duquel il apparaîtra possible de penser un dispositif d'accompagnement se situant au carrefour du pédagogique, de l'éducatif et du thérapeutique. En d'autres termes, ce travail s'inscrit dans le cadre plus général des pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelle.

Notes
87.

Siegler R. (2000), Intelligence et développement de l'enfant, Bruxelles, De Boeck.