Deuxième partie : Les pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelle

‘"Les manques de l'enfant font son génie88"
Henri Michaux’

Le dictionnaire historique de la langue française permet de mieux cerner les sens latents et manifestes des mots, leur origine et leur évolution au fil du temps. Il rappelle, par exemple, que le nom féminin "intelligence" est un emprunt ancien au latin classique intelligentia, "action de comprendre" et "faculté de comprendre". Le mot est dérivé du verbe intellegere, c'est à dire "choisir entre" et "apprécier" une situation pour déclencher une action adaptée. Ce verbe est formé de inter "entre" et de legere "cueillir, rassembler", c'est à dire trier, relier et classer les informations pour produire une réponse adaptée aux exigences de la réalité. De nos jours, dans le prolongement de cette approche, l'intelligence artificielle prend le mot dans ce sens initial et l'opérationnalise en désignant la partie de l'informatique qui vise la simulation des facultés cognitives humaines. Cette conception "computationnelle" de l'intelligence, qui cherche à l'examiner sous l'angle de ses performances et de ses procédures, connaît actuellement un grand succès à travers le développement des neurosciences et de la psychologie cognitive.

Cette deuxième partie sera consacrée au développement d'un point de vue différent, qui met en question l'approche computationnelle en psychopathologie de l'enfant. Conformément aux objectifs que nous avons définis au terme de la précédente partie : entreprendre une étude descriptive des caractéristiques cognitives de notre population clinique pour étudier la nature des contraintes exercées par les processus psychopathologiques sur les opérations de pensée, notre propos s'inscrira dans le champ de ce qu'il est convenu maintenant d'appeler les pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelle.

Dans un premier chapitre, nous rappèlerons les fondements épistémologiques d'une évaluation de l'intelligence et nous examinerons les principaux outils qui permettent son évaluation selon des bases qui restent guidée par la démarche clinique.

Dans le deuxième chapitre, nous utiliserons une illustration clinique pour faire apparaître un élargissement théorique en nous référant à une définition de l'intelligence qui ne se limite pas à la seule évaluation des performances de l'enfant. A partir de cette situation clinique, nous considèrerons que l'intelligence de l'enfant s'inscrit dans une démarche plus générale de pensée qui prend en compte les aléas de sa vie subjective et ses conflits psychiques découlant des enjeux narcissiques et objectaux.

Dans un troisième chapitre, nous donnerons ainsi à l'intelligence un statut psychique qui permettra de se dégager d'une visée purement computationnelle pour introduire les éléments de base nécessaires à la possibilité d'en réaliser une lecture clinique. Nous montrerons qu'accorder un statut psychique à l'intelligence, c'est la considérer comme une résultante de la mise en œuvre des processus de pensée. C'est poser, comme parti pris théorique, la nécessaire élaboration au cours de la vie de l'enfant de contenants psychiques pour que la pensée puisse se développer et s'actualiser à travers des démarches processuelles qui tiennent compte des sphères à la fois cognitive, narcissique et objectale du sujet.

C'est à partir de cette dernière perspective que nous nous intéresserons, dans un quatrième chapitre, à un modèle théorique intégré de la psychopathologie de l'intelligence : celui de Gibello89 B. (1984) qui vise une synthèse piagéto-kleinienne des troubles cognitifs. Nous décrirons les bases principales de ce modèle car il constitue l'argument historique fondateur de notre démarche de chercheur. Nous critiquerons ce modèle et nous envisagerons la nécessité d'abandonner le modèle piagétien pour nous tourner vers les modèles néostructuralistes qui semblent plus pertinents pour l'analyse psychopathologique de la dimension dysharmonique qui caractérise notre population clinique.

C'est la raison pour laquelle le dernier chapitre sera consacré à la présentation de la Théorie des Opérateurs Constructifs (TCO) de Pascual-Leone J., car ce modèle constitue le cadre théorique à partir duquel nous évaluerons les compétences cognitives des enfants.

Notes
88.

Michaux H. (1983), Les commencements, Paris, fata morgana.

89.

Gibello B. (1984), L'enfant à l'intelligence troublée, paris, Le Centurion.