2.1.3. Des performances aux compétences : l'évaluation de l'intelligence avec le K-ABC.

A partir du début des années soixante-dix, les développements théoriques de la psychologie cognitive et de la neuropsychologie ont fourni d'autres paradigmes pour l'étude de l'intelligence. Comme nous avons déjà eu l'occasion de le préciser, la psychologie cognitive a pour projet de définir les mécanismes participant à la détection, la sélection, la perception, la reconnaissance et l'identification des très nombreuses informations qui stimulent nos récepteurs sensoriels d'une manière quasi continue. Se développant de pair avec les questions posées par l'intelligence artificielle, elle a étudié les structures et les processus impliqués dans le traitement de l'information102.

En caractérisant les activités intellectuelles comme des processus de traitement de l'information, la psychologie cognitive s'est donnée comme objectif de modéliser ces processus mis en jeu par le système cognitif et s'est dotée de méthodes permettant de valider ces modèles. Dès la fin des années soixante-dix, la volonté d'appliquer ces découvertes dans le champ de la psychométrie s'est affirmée. Celle-ci avait, d'une part, mis en évidence les grandes dimensions de l'activité intellectuelle mais, d'autre part, elle avait laissé de côté l'analyse des processus sous-jacents à ces activités. L'objectif explicite de la psychologie cognitive sera précisément d'expliquer les différences entre les performances individuelles observées au test, par les différences observées dans la mise en jeu de tel ou tel processus au cours de l'exécution de la tâche.

Au sein du cadre très vaste de la psychologie cognitive, deux voies ont été suivies pour créer des outils d’évaluation :

Pour l'instant, nous limiterons notre propos à la présentation du K-ABC car nous aurons l'occasion de développer l'approche élémentariste plus loin dans le cadre de ce travail.

Le K-ABC est une batterie orientée vers l'évaluation des processus mentaux mis en jeu par l'enfant, plutôt que la seule évaluation de ses performances globales. Il est composé de trois échelles : l'échelle des processus séquentiels, l'échelle des processus simultanés et l'échelle des connaissances.

A l'origine de la construction de cette batterie, les auteurs Kaufman103 A. S. et Kaufman N. L. (1993) ont souhaité développer un instrument capable de mettre en évidence le déficit de certains modes généraux de traitement de l’information. L’accent est mis sur le style cognitif de l’enfant, sur une évaluation de son mode privilégié de traitement de l’information plutôt que sur ses acquisitions ou sa performance en elle-même. Ces styles cognitifs reposent sur la dichotomie processus séquentiel/processus simultanés qui caractérisent deux modes possibles de traitement de l’information. L'élément le plus radicalement original du K-ABC a été sans doute, en rupture avec la traditionnelle opposition verbal-non verbal, de prendre explicitement comme point de départ un modèle théorique des processus cognitifs et de mettre l'accent sur les modes de traitement plutôt que sur les seuls contenus. Sa vocation à fournir des bases au travail de remédiation des troubles de l'apprentissage explique sans doute sa démarche plus résolument analytique de l'examen de l'efficience intellectuelle.

Les processus séquentiels résument la capacité d’un enfant à résoudre des problèmes en traitant mentalement les stimuli selon un ordre sériel, les processus simultanés expriment la capacité à résoudre des problèmes nécessitant l’organisation et l’intégration de nombreux stimuli de manière parallèle ou simultanée. Robitaille A. (1990) définissait de la façon suivante ces deux types de processus :

‘" Dans le processus simultané il y a intégration des stimuli par groupe, de manière à ce que les éléments soient vus comme un tout. Les éléments sont alors tous inter-reliés et accessibles en même temps. Dans le processus séquentiel, les stimuli sont intégrés dans un ordre temporel, organisés en série. Chaque élément est relié à l’élément qui le suit, de sorte qu’il forme une chaîne104 ".’

Dans son approche théorique Kaufman A. S. argumente la mise en évidence expérimentale des deux styles de traitement cognitif à partir de trois origines :

Voici la structure du K-ABC dont certains subtests complèteront l'évaluation des performances cognitives :

Structure du K-ABC

Echelle des processus séquentiels :

Echelle des processus simultanés :

Echelle de connaissance :

Lecture et compréhension : montrer que la lecture est comprise.

En fait, la construction de l’outil a buté sur la difficulté d’évaluer un seul type de processus, indépendamment de l’autre. Habituellement ces deux types de processus sont intriqués et interviennent chacun à différentes phases du traitement de l’information. Ainsi, le test ne mesure pas de manière équivalente les processus simultanés et les processus séquentiels. Les auteurs se sont en effet aperçus que certaines tâches, prévues à l’origine pour mesurer le traitement séquentiel, mesurent en fait le traitement simultané. Par conséquent, dans la version définitive du test, seules trois épreuves mesurent le traitement séquentiel contre sept pour le traitement simultané.

Par ailleurs, les analyses factorielles ont montré qu’il peut exister au sein d’une même épreuve une forte variabilité en fonction de l’âge en ce qui concerne le type de processus mesuré. Le K-ABC illustre bien cette difficulté d’évaluer un et un seul type de processus dans ces modèles globaux qui sont, la plupart du temps, construits à partir d’une approche dichotomique. Si ces modèles fonctionnant par couples opposés ont une valeur heuristique indéniable, ils retrouvent les limites générales, déjà évoquées dans le cadre du WISC, d’une démarche évaluative comportant ce type de choix.

Notons aussi que, bien que Kaufman A. S. renonce au terme de QI pour rendre compte des performances de l'enfant pour chacune des échelles, il propose une formulation en notes standards à partir d'une normalisation qui conserve, dans la continuité de la tradition psychométrique, une moyenne de 100 et un écart-type de 15. Ainsi, il ne fait pas de doute pour les auteurs que ces échelles sont également des échelles d'efficience intellectuelle comparables à celles proposées par les autres batteries composites, notamment le WISC III. Kaufman A.S. propose d'ailleurs de réunir les échelles de processus séquentiels et de processus simultanés en une échelle unique de Processus Mentaux Composites (PMC).

Par ce "petit tour de passe-passe", il réintroduit implicitement la dichotomie verbal / non verbal chère aux cliniciens et qui a fait la renommée du WISC. L'échelle des processus mentaux composites peut être comparée au QI de performance et l'échelle de connaissance au QI verbal. De fait, si le cadre théorique et les situations mises en jeu dans le K-ABC sont assez différents de ceux de la WISC, les études d'analyse de variance effectuées pour comparer les deux tests montrent que les notes standards que l'on obtient avec le K-ABC corrèlent à .70 avec celles de la WISC. En bref, malgré les nouvelles perspectives théoriques introduites par Kaufman A.S. qui, indéniablement dessine la volonté de mieux cerner les profils d'efficience, il semble que les deux batteries mesurent à peu près la même chose.

Enfin, il faut rappeler que l'approche cognitive envisage le fonctionnement cognitif comme une série de manipulations de représentations, de significations sur la base desquelles s'opère le calcul donnant lieu au comportement intelligent. Ces représentations sont d'emblée accessibles à l'appareil cognitif et sont conçues comme l'encodage des caractéristiques symboliques d'un monde extérieur qui apparaît ainsi comme, en quelque sorte, prédéfini. Ici la représentation est postulée dès l'origine, avant même l'application de toute action. Au fond, la psychologie cognitive n'a pas pour vocation de produire une théorie du développement de la représentation et de la pensée chez l'enfant.

Dans ce contexte, l'opposition entre développement et aptitude persiste dans le test et l'on ne peut pas dire que l'appui trouvé auprès des sciences cognitives lui ait permis d'étayer l'évaluation des performances cognitives sur des compétences mises à jour par une véritable théorie du développement cognitif. Les sciences du traitement de l'information n'ont pas apporté ici l'étayage théorique qui aurait permis d'ancrer l'évaluation de l'intelligence dans un modèle du développement de la pensée. C'est peut-être ce qui explique que, malgré sa vocation, le K-ABC n'a pas détrôné le WISC de sa position dominante dans les pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelle. Bien que largement diffusé dans le champ de la psychologie de l'enfant, nous constatons qu'il est la plupart du temps utilisé dans le cadre d'une recherche d'épreuves complémentaires au WISC, susceptibles de compléter les investigations cliniques par des informations portant sur le mode de traitement privilégié.

Au cours de la seconde partie du vingtième siècle, portée par l'idée de produire une mesure de l'intelligence reposant enfin sur une véritable théorie du développement cognitif, le courant psychométrique a été fortement tenté par l'une des plus grandes et des plus marquantes des théories du développement : le constructivisme piagétien.

Notes
102.

Le terme d'information étant utilisé dans un sens très large où il peut s'agir aussi bien d'un objet concret, physique, que d'un mot, un son, un bruit, un événement quelconque, physique ou purement mental.

103.

Kaufman A. S. et Kaufman N. L. (1993) Manuel d'interprétation. Batterie pour l'examen psychologique de l'enfant, Edition du Centre de Psychologie Appliquée, Paris.

104.

Robitaille A., Everett R., Thomas J.(1990), "Etude neuro-psychologique d'enfants de 7 à 12 ans, présentant des troubles de l'attention. Inhibition des processus séquentiel et hypothèse frontale" , A.N.A.E., 2, p.60-64

105.

Neisser U. (1961), Cognitive psychology , Appleton, Century Crofts, New-York.

106.

Das J.P., Kirby J.R. et Jarman R.F. (1979), Sequential and simultaneous cognitive processus In "Academie press", New-Yord.

107.

Luria A.R. (1966), Higher cortical fonctions in man, "BASIC BOOKS", New-York.

108.

Levy J. & Trevarthen C. (1976), "Metacontrol of hemisphéric function in human split brain patients", Journal of Experimental psychology, 2, Human percpetion and performance.