2.1.5. Conclusion.

Les outils d'évaluation des performances cognitives que nous utilisons dans le cadre des pratiques cliniques reposent sur une conception de l'intelligence qui vient d'avoir un siècle, alors que dans le même temps les théories du développement de l'enfant ont connu des progrès sans précédent. Le même constat peut d'ailleurs être fait sur les tests factoriels puisque les premières publications sur le facteur g sont contemporaines des travaux de Binet A. et Simon T. Si l'apport des théories du développement et l'introduction des sciences du traitement de l'information ont simultanément bouleversé le paysage de la recherche sur l'intelligence au cours du dernier siècle, les tests qui permettent de la mesurer dans le champ clinique, n'ont pas suivi la même évolution. Au fond, les idées de Wechsler D. sur l'intelligence n'étaient pas très différentes de celles de Binet A.. Comme ce dernier, il pensait que l'intelligence ne pouvait être évaluée qu'à travers les performances dans des activités mentales complexes à partir de tests reposant avant tout sur une démarche pragmatique mise en œuvre dans un contexte avant tout clinique.

Même si le WISC a connu des évolutions notables depuis, il reste fidèle aux conceptions initiales de son auteur. Pendant ce temps, d'autres modes d'investigations ont vu le jour : plus précis et mieux fondés théoriquement. Aucun d'entre eux n'a pu s'imposer véritablement, certainement parce qu'aucun d'entre eux n'a pu s'appuyer sur une définition aboutie de l'intelligence. Certes, ils ont enrichi la panoplie des outils d'investigation cognitive mise à la disposition des cliniciens, mais sans remettre en question la domination du test issu de la psychométrie traditionnelle puisque, pour reprendre la remarque de Lautrey J. (1998), ils lui apporte même "une sorte de validation théorique à posteriori 113", compte tenu des fortes corrélations qu'ils entretiennent avec le Wechsler.

Plusieurs modèles cognitifs proposent maintenant des représentations du système cognitif sous forme d’une organisation de composantes, chacune étant responsable d’un traitement spécifique de l’information. Cette approche modulaire, en composantes, fournit certes des outils conceptuels pour l’évaluation diagnostique, mais les modèles développés actuellement ne concernent que certaines tâches bien définies ou chaque modèle local est utilisé pour étudier un problème souvent trop spécifique. Si ces approches montrent des intérêts certains dans le cadre des activités de recherche portant sur les procédures du système cognitif, elles restent pour l'instant assez limitées dans leurs applications cliniques. Par ailleurs, leur impossibilité de rendre compte des aspects développementaux fige finalement le clinicien dans une position qui consiste à vérifier la présence ou non d'un déficit sans pouvoir le rapporter à une vision dynamique et global du fonctionnement cognitif de l'enfant.

Pour évaluer les performances cognitives de la population clinique qui sert de base à notre étude, nous avons utilisé le WISC III en raison des ouvertures cliniques que propose cet outil en comparaison des tests qui reposent sur une approche théorisée de l'intelligence. Visant l'évaluation la plus large possible des performances des enfants, nous avons enrichi le protocole par certaines épreuves du K-ABC, qui apparaissent complémentaires du WISC. Mais il est clair que les tests classiques de l'intelligence (WISC, K-ABC) laissent de côté certaines dimensions importantes de l'adaptation cognitive des enfants. Pour mettre en évidence les Dysharmonies Cognitives Pathologiques (DCP) et les Retards d'Organisation du Raisonnement (ROR) par une comparaison entre les performances des enfants et leurs compétences, Gibello114 B. (1984) a choisi d'explorer le champ des compétences cognitives à l'aide de l'Echelle de la Pensée Logique (EPL), construite sur la base des travaux de Piaget J. Plus loin dans ce travail, nous aurons l'occasion de critiquer cette méthodologie qui s'avère difficilement praticable dans le contexte des pathologies graves de la personnalité à expression déficitaire.

Depuis une vingtaine d'année la volonté d'intégrer les apports de la psychologie cognitive à ceux du structuralisme s'est traduite dans l'élaboration de nouvelles théories du développement qualifiées de théories néostructuralistes. Ces théories retiennent l'essentiel de la thèse structuraliste, c'est à dire expliquer le développement des compétences de l'enfant dans une perspective constructiviste, mais elles visent également à proposer des modèles portant sur l'étude des mécanismes impliqués dans les performances des enfants, comme les capacités attentionnelles par exemple. Nous aurons l'occasion d'explorer l'un de ces modèles dans le dernier chapitre de cette deuxième partie, ce qui nous permettra de compléter le protocole d'évaluation d'un certain nombre de situations conçues pour observer ces mécanismes impliqués dans la production des performances cognitives des enfants.

Mais avant cela, il nous faut déplacer cet ensemble de questionnement dans le contexte de la psychopathologie des troubles du développement chez l’enfant. Si nous venons de poser les bases épistémologiques du premier volet de notre objectif : réaliser une étude descriptive des caractéristiques cognitives de la population clinique, il reste à situer le cadre théorico-clinique de la seconde modalité de l'objectif : lier les aspects cognitifs et les aspects psychopathologiques.

Pour lier les processus cognitifs aux processus psychopathologiques, il est nécessaire de dépasser les seuls facteurs intellectifs et de situer l'intelligence dans le champ plus général des activités de la pensée, dans son inscription corporelle. Pour introduire cette réflexion sur les pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelle, nous utiliserons une illustration clinique. Il s'agit d'un enfant que nous avons reçu dans le cadre de la consultation au Centre Médico Psychologique (CMP). Il n'appartient donc pas à la population clinique concernée par cette étude, mais sa situation singulière nous permettra d'introduire un certain nombre de questionnements qui, au delà de l'évaluation cognitive, indique à la fois la direction et le cadre dans lesquels s'engage cette recherche.

Notes
113.

Ibid p. 88.

114.

Gibello B. (1984), L'enfant a l'intelligence troublée, Le Centurion, Paris.