2.2.3. Conclusion.

Voici quelques éléments de réflexion qui devraient nous inciter à la plus grande réserve vis à vis d'une lecture strictement quantitative à partir des modèles issus de la psychologie différentielle. Ces modèles établissent généralement, sous couvert de scientificité, une identité entre état mental et état cérébral, reléguant ainsi au second plan les facteurs psychodynamiques pour expliquer les performances cognitives et les particularités de l'apprentissage chez l'enfant. Or, nous venons de voir qu'il n'y a ni hiérarchie, ni indépendance, entre processus cognitifs et processus affectifs : ils sont consubstantiels. Le développement cognitif de l'enfant se déploie à l'intérieur de l'espace creusé par la mise en œuvre dialectique des enjeux de la séparation et de l'individuation, pris dans les modalités objectales et narcissiques qui en découlent. Ainsi, pouvons-nous dire que l'acte cognitif à l'état pur n'existe pas. Une lecture clinique des performances cognitives nous invite à rencontrer l'enfant dans son individualité, la singularité de son rapport au monde, dans sa globalité et la nécessaire prise en compte de ses interactions dans les phases précoces du développement psychique.

En matière de développement, les choses apparaissent maintenant nettement plus complexes et les formes d'expression psychopathologiques chez l'enfant ne peuvent plus être comprises à partir d'une interrogation formulée selon un mode binaire de type organogenèse ou psychogenèse. Dans son dernier livre, Pommier123 G. (2004) s’intéresse à la manière dont le "corps psychique" exerce ses contraintes sur les aires organiques dans le cerveau (comme la rencontre avec l'environnement exerce ses contraintes sur la maturation dans le cadre du nanisme psychogène). Il nous rappelle que les aires corticales sont feuilletées et que de multiples couches traitent chaque sensation selon une hiérarchie qui s'amorce en partant d'une aire primaire. Il pose l'hypothèse qu'un homoncule "psychique" occupant les feuillets supérieurs s'apparie à ses doubles sensitifs et moteurs siégeant dans les feuillets les plus profonds. Il appuie sa démonstration sur les travaux réalisés à propos du membre fantôme, de l'héminégligence, de l'anosognosie et plus récemment des neurones-miroir où il suffit d'imaginer un geste pour que les aires concernées par ce mouvement soient activées comme si ce geste était vraiment réalisé. On pourrait croire que les aires corticales superposent deux territoires distincts : d'un côté, l'organisme, de l'autre, le corps psychique, chacun menant ses activités propres, avec de temps en temps quelques interférences. Mais, Pommier G. nous rappelle qu'un phénomène comme l'attrition est peu compatible avec cette hypothèse et tend plutôt à prouver que le "corps psychique précède et modèle l'organisme 124".

Depuis le début des années cinquante, avec les travaux de Hebb125 D.O. portant sur la maturation visuelle chez les chats nouveaux nés, nous savons que le bébé vient au monde avec un système nerveux surdimensionné par rapport à ses besoins physiologiques et que le développement consistera à faire le tri, à sélectionner les connexions neuronales opportunes et à laisser se détruire les neurones non sollicités de telle sorte que l'individu construit lui-même son système neuronique en fonction de sa propre activité. Par l'attrition, cette interaction du système nerveux et du milieu extérieur montre que l'organisme se construit au fur et à mesure de son activité et que, loin d'être premier, le cerveau est tributaire non seulement de la sensation, mais de la façon d'y réagir. Le corps de l'enfant est précisément ce lieu où se métabolisent processus organiques et processus psychiques, pour finalement devenir indiscernables.

En psychiatrie de l'enfance et de l'adolescence, il faut maintenant développer des approches multidimentionnelles qui visent un au-delà des confrontations entre les modèles. Il nous semble en effet possible d'intégrer dans une pratique clinique des outils provenant des sciences cognitives sans pour autant se priver des points d'appui provenant de la psychopathologie dynamique. Dans l'avenir, les pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelles, et leur participation à l'élaboration des cadres de soins, apparaissent selon nous comme un des enjeux majeurs du devenir de la pédopsychiatrie. De même que l'intégration scolaire et l'accompagnement thérapeutique des enfants bénéficiant de ce type de dispositifs constituent le domaine privilégié à l'intérieur duquel ce débat peut-être mené. Avant d'aborder directement l'exploration des caractéristiques cognitives présentées par les enfants concernés par cette recherche et de soumettre nos résultats à une lecture clinique et psychopathologique, il faut préciser les modèles théoriques qui serviront de base à ce travail.

Les développements qui suivent vont maintenant faire apparaître un élargissement théorique en se référant à une définition de l'intelligence qui s'appuie sur le concept de pensée. Nous verrons que, si au début de la vie psychique le corps étaye la pensée, plus tard la pensée métaphorise le corps.

Notes
123.

Pommier G. (2004) Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse. Paris. Flammarion.

124.

ibid, p. 100.

125.

Hebb D.O. (1958) La psychologie du comportement, Paris, P.U.F.