2.3. L’activité de représentation et le développement de la pensée.

Le dictionnaire historique de la langue française nous apprend que le verbe penser, les noms pensée et pensées apparaissent dans l'ordre chronologique au douzième siècle. Le verbe est donc premier et les suivants en sont des participes passés. Ces trois termes sont dérivés du latin populaire pendere qui contient les deux sens de "prendre" et de "peser", d'où le sens que penser c'est peser. On pèse le pour et le contre, on hésite, on décide et parfois on se trompe. Certaines pensées sont lourdes de conséquences, d'autres sont légères, flottantes et agréables. Une pensée qui a du poids est une pensée pertinente et bien argumentée. On pèse et on soupèse le bien et le mal, le vrai et le faux, le beau et le laid. Dans son introduction au livre traitant des contenants de pensée, Anzieu D. (1993) nous rappelle qu'étymologiquement, il faut noter que les deux verbes penser et panser ont la même origine :

‘"Panser c'est contrebalancer un mal par un bien. Etymologiquement, le pansement et le pensement sont les résultats respectifs de l'action de panser et de celle de penser126."’

Comme une préfiguration de l'inscription corporelle du penser, on s'aperçoit que penser peut être une douleur ou un plaisir, une mise à disposition du corps au service d'une réalité externe ou interne. Mais en même temps, pour penser on suspend son jugement, on ouvre une latence et dans cet entre-deux s'infiltrent l'hésitation, l'ambivalence et les conflits internes. D'autres fois par contre, ce caractère conflictuel de la pensée peut s'effacer, nous jubilons de nos découvertes, de nos rêveries, de nos souvenirs comme une manière "d'être dans nos pensées". A l'intérieur de ce travail de la pensée s'insinuent le sujet et toutes les incertitudes de son rapport au monde.

La pensée est un mot que les hommes ont inventé pour désigner tout ce qui leur passe par la tête : du souvenir d'enfance au problème de mathématique, des méditations philosophiques aux rêves, d'une croyance religieuse à la recherche d'un mot dans un dictionnaire, etc. Dans un sens plus large, la pensée peut aussi consister en des impressions subjectives, des perceptions soudaines, des réactions anticipées ou non. La pensée est un bric-à-brac d'impressions, d'images, de représentations, de souvenirs, d'idées, de jugements, de croyances, de raisonnements qui peuvent être vagues ou organisés, conscients ou inconscients.

Le monde tel qu'on le perçoit n'est pas un exact reflet de la réalité mais une reconstruction mentale. Le réel est pris dans les filets de la subjectivité, filtré et mis en forme par des structures mentales dynamiques qui donnent sens à nos impressions sensorielles, à nos perceptions, à nos émois affectifs. Le réel ne nous apparaît pas tel qu'il est, mais tels que nos sens et notre manière d'être au monde nous permettent de le saisir.

Manier des représentations, des significations, est donc l’objet de la pensée, qu’il s’agisse de construire ces représentations, de les lier les unes aux autres, de les exprimer ou de les développer intérieurement, de les oublier ou de les remémorer et jouer avec elles. Ces représentations prennent formes selon différentes modalités ; elles sont images, affects, émotions, sentiments, et notre capacité de parler rend compte de notre capacité à utiliser des systèmes de représentations symboliques extrêmement complexes qui confèrent à notre activité de pensée les caractéristiques singulières de notre condition humaine.

Notes
126.

Anzieu D. (1993), "Liminaire : le penser, la pensée, les pensées et leur vocabulaire", in Anzieu D. (dir), Les contenants de pensée, Paris, Dunod, p.2.