2.4.2. L'évaluation des troubles des contenants de pensée cognitif et psychopathologie.

Parmi tous les processus psychiques que nous repérons lorsque nous tentons de comprendre la manière dont l'enfant, confronté aux difficultés d'apprentissage, montre une pensée désorganisée, deux directions s'offrent généralement à nous. D’une part l’affectivité dans son rapport avec l’inconscient, pour apprécier les enjeux fantasmatiques et narcissiques qui font obstacle à la performance ou à la mise en œuvre des compétences de l'enfant. D’autre part, les processus cognitifs pour leur implication dans le rapport au réel et la manière par laquelle ils nous informent des difficultés opératoires rencontrées par l'enfant pour une tâche donnée. C’est d’ailleurs en tentant de mieux comprendre l’action complémentaire et parfois concurrente de ces deux niveaux d’observation, répondant chacun à des logiques différentes, que l’on saisit mieux les troubles cognitifs d’un sujet dans le cadre d’une évaluation diagnostique.

Nous avons vu dans une partie précédente que les recherches en psychologie tentent depuis toujours de créer les conditions d’une évaluation d’une intelligence dite " pure"  (qui reste d’ailleurs en attente d’une définition), c’est à dire "toilettée" de ses aspects tant affectifs que groupaux. En d’autre termes, il s’agirait ici, de cerner les contenants cognitifs en les isolant des contenants fantasmatiques, narcissiques et culturels. Cette entreprise s'avère encore en grande partie illusoire puisque aujourd’hui, la plupart des batteries d’évaluation des troubles de l’intelligence couramment utilisées sont composées d’épreuves complexes qui impliquent, souvent à l’insu de leur concepteur, autant les facteurs intellectuels que la dimension affective et fantasmatique.

Voyons comment cette intrication peut-être repérée dans certains tests avec un exemple tiré de la batterie la plus couramment utilisée en psychopathologie de l'enfant : Le WISC III. Il s’agit de l’épreuve "assemblage d’objet " ou se trouve un visage et un mannequin "mis en pièces" et que l'enfant doit reconstruire. La réalisation d’une telle épreuve implique, au moins, trois types de facteurs :

Dans ce modèle d’évaluation des troubles cognitifs, les aspects narcissiques et fantasmatiques infiltrent toujours le cognitif. La validité clinique de ces outils n’est pas à remettre en question ici, car la richesse de leur exploitation, à la lumière de l’expérience clinique, n’est plus à démontrer. Mais, lorsque la réussite finale de l'enfant à l'ensemble des subtests est en plus affectée de données chiffrées telles que 95 ou 103 et que ces chiffres sont baptisés "Quotient Intellectuel", cela leur confère un caractère scientifique trompeur qui nous éloigne de l'analyse qualitative des performances.

Il est évident que ces outils ne permettent pas de prendre en compte pleinement la spécificité de la cognition pure, isolée des autres aspects du fonctionnement psychique, notamment au cours de leur utilisation dans un contexte psychopathologique. Ils permettent tout au plus de situer un sujet par rapport à son groupe d’âge, et selon les normes culturelles de ce groupe, dans son niveau de développement psychologique.

Comme le précise Lautrey J. (2005) :

‘"En réalité, le niveau de mesure le plus puissant sur lequel les psychologues puissent fonder leurs évaluations de l'intelligence est le niveau ordinal : ils savent ordonner les sujets en fonction de leurs performances dans les tests d'intelligence (nombre d'items réussis) et ils savent aussi ordonner les items de ces tests en fonction de leur niveau de difficulté (nombre de sujets qui réussissent chaque item). Depuis Wechsler, le QI d'un sujet ne traduit rien d'autre que le rang auquel sa performance le situe dans son groupe d'âge183." ’

Autrement dit, le WISC permet de recueillir les performances d'un sujet, à un moment donné et nous propose seulement un classement de ce sujet par rapport aux sujets du même groupe d'âge. En psychopathologie de l'enfant, ces données ne sont pas toujours stables dans le temps et les résultats obtenus se résument à un simple constat de performances. Par ailleurs, ils ne fournissent aucune information à propos des compétences sous-jacentes à l'expression des performances et il est souvent difficile d'apprécier le niveau d'organisation de la pensée cognitive de l'enfant. Cet outil ne s'affirme pas comme un outil suffisamment fiable pour réaliser une évaluation fine des contenants de pensée cognitifs dans le champ de la psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent.

En suivant cette distinction entre l'évaluation des performances du sujet et l'appréciation de ses compétences, les recherches cliniques de Gibello B. (1984) l'ont conduit à différencier d'une part, les capacités intellectuelles de l'enfant et, d'autre part, le niveau d'organisation de sa pensée. Les capacités intellectuelles sont ici considérées comme les performances cognitives (contenus de pensée cognitifs) qui prennent sens et sont déterminées par l'organisation cognitivo-intellectuelle du sujet (contenants de pensée cognitifs). Elles sont évaluées à partir de l'utilisation des tests classiques tels que Binet A. nous a appris à le faire, sachant que ces outils ne reposent sur aucune théorie du développement de la cognition. L'organisation cognitivo-intellectuelle, quant à elle, est plus difficile à appréhender et il est nécessaire pour cela de s'appuyer sur une théorie solide du développement de la cognition. Pour Gibello B., le modèle piagétien remplit parfaitement cette condition.

Notes
182.

Nous utilisons nous-mêmes, dans cette étude, un test de reconnaissance de formes tiré du K-ABC, et nous montrons que ce test fonctionne également selon les principes d’un test projectif.

183.

Lautrey J. (2005), "Le QI : concept mal compris ou concept dépassé ?", A.N.A.E., 83/84, p. 146-149.