2.4.2.2. L'approche critique de cette "nouvelle classification".

Nous avons défini la population clinique de cette étude en fonction de la Classification Française des Troubles Mentaux de l'Enfant et de l'Adolescent186 et nous avons spécifié deux groupes diagnostics bien différenciés ; les dysharmonies psychotiques et les dysharmonies évolutives.

Nous sommes partis de la naissance des représentations pour suivre les chemins d’une pensée naissante et promise à une complexification croissante liée aux aléas de la rencontre du sujet avec son environnement et nous avons ainsi postulé que ces pathologies présentent des troubles de l’organisation des processus de pensée qui trouvent leur origine dans des perturbations précoces des relations entre le sujet et son environnement, entre le moi et ses objets. Nous distinguons, d’un côté les dysharmonies psychotiques qui s’inscrivent dans une problématique de la perte, et de l’autre côté, les dysharmonies évolutives qui soulèvent une problématique de l’absence. Pour les deux catégories la dimension dysharmonique révèle les troubles de la représentation et de la symbolisation.

Il n'en reste pas moins que la classification proposée par Gibello B. (1984) pose un problème diagnostique dans le cadre de son application auprès des enfants bénéficiant de l'intégration scolaire. En effet, compte tenu des caractéristiques psychopathologiques des patients qui constituent la population clinique de cette recherche, nous pouvons constater que ces enfants présentent des troubles graves de la personnalité et qu'ils vont, le plus souvent, obtenir des scores très bas sur les deux échelles (WISC / EPL). Autrement dit, les enfants que nous accueillons dans le cadre du dispositif d'intégration scolaire sont, la plupart du temps, apparentés à des déficients intellectuels dans la mesure où la passation des tests montre toujours de faibles performances intellectuelles (WISC) aussi bien qu'un retard dans le développement des capacités cognitivo-intellectuelles (EPL). Ils sont donc normalement relégués dans la catégorie des retards mentaux, diagnostic qui introduit l'idée d'une organisation déficitaire relativement fixée qui ne rend pas plus compte de la situation psychopathologique de ces enfants et des potentialités évolutives qui sont, paradoxalement, pressenties à partir de l'expérience clinique.

Les termes de retards mentaux apparaissent ici péjoratifs puisqu'à en croire Gibello187 B. (1984) ces enfants ne dépasseront jamais le stade des opérations concrètes pour les déficients légers, le niveau préopératoire pour les déficients moyens et le stade sensori-moteur dans le cadre des déficiences sévères. Le tout étant pris dans des possibilités d'autonomie sociale qui sont d'autant plus réduites que le déficit est important et qui prédisent à ces enfants une vie nécessitant un étayage institutionnel à vie pour les deux catégories les plus déficitaires. Une étiologie biologique est souvent évoquée dans ce cadre diagnostique même si Gibello188 B. (1995) évoque, à côté de ces retards mentaux, des sujets dont les compétences cognitives ne sont pas déficitaires initialement, mais qui le deviennent sous l'influence de processus pathologiques : psychoses, dysharmonies évolutives déficitaires, ou encore traumatismes crâniens.

Doit-on alors considérer que nous ne nous situons plus dans le cadre des dysharmonies développementales ? Où doit-on considérer que la classification proposée par Gibello B. ne permet pas de discriminer au sein du groupe des retards mentaux des "profils dysharmoniques" qui échappent à l'observation, tout simplement parce que la distinction entre performances intellectuelles et capacités cognitivo-intellectuelles, telle qu'elle est établie dans le cadre du modèle, n'est pas adaptée pour cette population clinique ? Pour répondre à cette question, il nous faut revenir sur la différence établie par l'auteur entre performances intellectuelles et capacités cognitivo-intellectuelles.

En effet, toute la classification repose ici sur une distinction entre l’intelligence et le raisonnement où il est acquis qu’en suivant Piaget J. on dépiste le raisonnement d’un sujet, que Weschler D. nous permet de mesurer son intelligence, et que les deux analyses sont complémentaires. Mais cette opposition entre intelligence et raisonnement est-elle valide ? Ces deux capacités sont-elles différenciées conceptuellement et différenciables dans la pratique psychométrique.

En fait, il est probable que par le terme de raisonnement, les piagétiens n’entendaient pas désigner quelque chose de différent de l’intelligence, mais bien au contraire ce qui en constitue l’essentiel. Ils considéraient que les tests classiques ne mesuraient qu’un certain nombre d’acquis et qu’ils ne permettaient pas de saisir l’intelligence dans son fonctionnement même, c’est à dire ses opérations. L’opposition intelligence-raisonnement ne trouve pas de fondement véritable chez Piaget J. qui cherchait à dégager l’organisation des structures logiques dans une perspective constructiviste. En ce sens, on pourrait même argumenter le point de vue selon lequel les épreuves piagétiennes répertorient les acquis d’un sujet étape par étape, à l’intérieur du modèle théorique, sans vraiment nous dévoiler ses opérations mentales. Elles ne sont donc pas si dissemblables des méthodes classiques. Nous avons d'ailleurs déjà évoqué, dans la première partie de ce travail, les fortes corrélations observées dans le cadre des comparaisons statistiques effectuées entre le WISC et l'EPL. Il semble bien que ces deux tests ne se différencient pas suffisamment pour permettre de repérer la composante dysharmonique de notre population clinique.

Dans le cadre de l’intégration scolaire en psychiatrie de l'enfant, une partie de la mission du psychologue consiste à comprendre la nature des processus cognitifs impliqués dans les difficultés rencontrées par les enfants au cours des apprentissages. Sans renvoyer dos à dos les tenants d’une psychologie du sens et les tenants d’une psychologie des déficits (Georgieff189 N., 1995), il paraît important aujourd'hui de ne pas s'en tenir à un simple constat de retard mental à propos des profils diagnostiques de notre population clinique. Pouvons-nous actuellement dépasser la seule exploration des contenus de pensée cognitifs, recueillis à partir du WISC et dans une moindre mesure à partir de l'EPL, pour évaluer les mécanismes plus élémentaires qui sous-tendent ces organisations psychopathologiques ?

Aujourd’hui, il paraît possible d'invoquer d’autres modèles cognitifs pour se dégager du seul principe d’une évaluation basée sur les construits d’un sujet dans sa rencontre avec un environnement et ce, afin de s’attacher à repérer et à comprendre la nature des mécanismes élémentaires qui sous-tendent le développement cognitif. Dans une perspective clinique et psychopathologique, une telle démarche suppose un décentrage épistémologique pour redéfinir la notion de dysharmonie développementale au sein du groupe des retards mentaux. Cette entreprise compléterait les connaissances actuelles de ces organisations psychopathologiques, dégagerait de nouvelles voies diagnostiques et, permettrait éventuellement d'enrichir les modalités de prises en charge des enfants.

Pour atteindre cet objectif, nous nous appuierons sur un modèle néostructuraliste : celui de Pascual-Leone J. (1970) et de la Théorie des Opérateurs Constructif (T.C.O.).

Notes
186.

CFTMEA (2002), Classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent - R 2000 – sous la direction de R. Mises et du Dr N. Quemada. 4ème édition du CTNERHI.

187.

Gibello B (1984), L'enfant à l'intelligence troublée, Paris, Le centurion, p. 75.

188.

Gibello B. (1995), La pensée décontenancée, Paris, Bayard Editions, p. 225.

189.

Giorgieff N. (1995), "à propos des approches psychopathologique et cognitive de la déficience mentale", Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence, 43, p. 528-536.