2.5. Une approche néostructuraliste : la théorie des opérateurs constructif de Pascual-Leone J..

La théorie opératoire de Piaget J., dite théorie structuraliste, a régné sur la psychologie du développement pendant près d’un demi-siècle. Aujourd’hui encore, elle demeure un cadre de référence solide en raison de sa cohérence interne et de la description qu’elle réalise des différents niveaux d’organisation de l’intelligence humaine. Fidèle au courant dominant de son époque, cette théorie est fortement imprégnée de la pensée évolutionniste, elle est structuraliste dans sa nature avec pour projet la mise à jour d’un développement de la pensée qui se veut à la fois universel, univoque, unidirectionnel et progressif. Elle a donné lieu à un nombre considérable de travaux qui ont ouvert la voie vers des applications cliniques et pédagogiques d’une grande richesse.

Au cours des deux dernières décennies les apports de la neuropsychologie et de la psychologie cognitive ont cependant contraint les psychologues à réviser certaines conceptions du développement cognitif et de l’intelligence. En effet, dés les années soixante et parallèlement aux orientations piagétiennes, la psychologie cognitive a étudié les processus impliqués dans le traitement de l’information. Plus que la recherche du développement d’un "système" cognitif, elle a centré son projet sur la définition des mécanismes généraux participant à la détection, la sélection, la perception, la reconnaissance et l’identification des informations qui proviennent de notre environnement. Pour résumer, l’objectif des recherches ne réside plus dans la définition de structures expliquant des niveaux d’organisation des connaissances mais vise à découvrir comment nous parvenons à extraire des connaissances, comment nous parvenons à les stocker et enfin, comment nous récupérons et utilisons ces connaissances.

Comme nous l'avons déjà évoqué dans la première partie de ce travail, depuis une vingtaine d’années, la volonté d’intégrer les apports de la psychologie cognitive à ceux du structuralisme s’est traduite dans l’élaboration des théories néostructuralistes. Ces théories retiennent l’essentiel de la thèse structuraliste, c’est à dire expliquer le développement des compétences de l’enfant (ce qu’il doit être capable de faire), mais elles visent également à proposer des modèles portant sur l’étude des mécanismes impliqués dans les performances de l’enfant (ce qu’il fait).

Pour expliquer les performances de l'enfant, les auteurs soulignent l’existence de déterminants fonctionnels et non structuraux, partiellement indépendants des situations d’apprentissage comme par exemple les capacités attentionnelles du sujet. Si ces théories nous permettent de distinguer des déterminants des performances dépendants et/ou indépendants des situations d’apprentissage, elles conduisent alors à penser qu’une approche analytique concernant le développement cognitif ne peut plus se contenter d’un repérage, si complexe soit-il, des structures cognitives ou des connaissances acquises, comme nous pouvons le faire à partir des modèles classiques, y compris, nous l'avons vu, à partir des modèles intégrant la différence entre les performances intellectuelles et les capacités cognitives.

Dans le cadre d'une évaluation classique des troubles cognitifs, les praticiens s’appuient la plupart du temps sur des outils normatifs avec lesquels ils comparent les connaissances acquises dans un milieu donné à la moyenne des connaissances acquises par des enfants du même âge et du même milieu. Les profils de performances ainsi obtenus ont révélé leur efficacité dans les pratiques cliniques, mais aussi leurs limites car l’analyse fonctionnelle des mécanismes à l’origine des performances reste encore trop limitée.

Le néostructuralisme vise à intégrer les apports de la psychologie cognitive anglo-saxonne, dont on retiendra le principe d'une architecture cognitive générale (mémoire permanente, mémoire de travail, instances de contrôle), au structuralisme piagétien et répondre ainsi aux critiques adressées au constructivisme. En introduisant la théorie des opérateurs constructifs (Théorie of Constructive Operators ou T.C.O.), Pascual-Leone190 J. (1970) se réclame de la théorie piagétienne lorsqu'il retient le principe d'un développement régi par des facteurs internes d'équilibration, envisagés comme des facteurs organiques contraignant l'apprentissage.

Le développement est donc envisagé ici comme un processus constructif mais contraint et régulé par des facteurs internes, donc non réductibles à l'apprentissage. La théorie des opérateurs constructifs ajoute au constructivisme une ambition, celle d'aboutir à une approche explicative concernant le processus constructif lui-même. Pour décrire ce modèle théorique nous nous appuierons en grande partie sur l'article de Ribeaupierre191 A. (1983) qui en fait une présentation théorique complète et qui constitue maintenant l'article de référence en langue française.

Pascual-Leone192 J. (1979) postule un double niveau d'organisation dans le fonctionnement cognitif, constitutif d'un métasujet (au sens de changement comme dans métabolisme) à deux composantes :

C'est l'interaction entre ces deux niveaux hiérarchisés qui rendra compte des performances de l'enfant tout au long du développement.

Notes
190.

Pascual-Leone J. (1970), "A mathematical model for the transition rule in Piaget's developmental stages", Acta Psychologica, 32, pp. 301-345.

191.

Ribeaupierre A. de, (1983), "Un modèle néopiagétien du développement : la théorie des opérateurs constructifs de Pascual-Leone", Cahiers de psychologie cognitive, 3, p. 327-356.

192.

Pascual-Leone J., Goodman D. (1979), "Intelligence and experience : a neopiagetian approach", Instructional Science, 8, p. 307-367.