2.5.4. Conclusions à propos de la théorie des opérateurs constructifs.

En octobre 2005, au colloque international ayant pour thème "L'intelligence de l'enfant" et réalisé à l'initiative de la FFPP (Fédération française des psychologues et de psychologie), Pascual-Leone J. (2005) résumait son modèle de la façon suivante :

‘"L'attention mentale est le concept-clé du modèle de développement de l'intelligence proposé par la théorie des opérateurs constructifs que l'on peut décrire comme un système organismique constitué essentiellement par quatre opérateurs fonctionnels en interaction dynamique : la capacité d'activation mentale-attentionnelle (capacité M), la capacité mentale attentionnelle d'interruption ou capacité d'inhibition (capacité I), les processus exécutifs (schèmes E) capables de contrôler l'allocation des capacités M et I, et un facteur de champ néogestaltiste (opérateur F) qui s'exprime dans le cerveau par des processus d'inhibition latérale qui permettent d'assurer l'unicité de la performance200."’

A partir des recherches en cours, l'auteur montrait que la mémoire de travail, l'inhibition et les processus exécutifs expliquaient le meilleur développement de l'intelligence des enfants doués et que les mesures des capacités mentales attentionnelles permettaient de révéler des capacités latentes non encore diagnostiquées par l'utilisation des outils standards préconisés par le ministère canadien de l'éducation. Ces enfants montraient des capacités latentes que les mesures des capacités mentales attentionnelles pouvaient détecter.

Ainsi, la constructivité du développement est-elle supposée provenir en premier lieu de la croissance de facteurs endogènes où l'opérateur M, avec les autres opérateurs, vient expliquer les performances du sujet. Si l'enfant est un être en perpétuel changement, son développement se voit contraint par des facteurs maturatifs, donc indépendants de l'expérience de l'enfant, limitant la construction des opérations de pensée et définissant les stades en terme de disponibilité de l'espace mental. En introduisant la notion d'espace de traitement lié à l'âge, cette perspective très éloignée de la notion Piagétienne de "structure d'ensemble", n'en constitue pas moins un caractère explicatif de la succession des stades observés par Piaget J. (et qui reste particulièrement confirmée par l'expérience clinique). L'espace mental, et dans une moindre mesure l'opérateur d'inhibition, apparaissent ici comme l'expression des contraintes neurobiologiques internes au stade qui s'exercent à la fois sur le type de situation susceptible d'être appréhendée par l'enfant et sur le niveau de complexité possible des nouvelles structures inhérentes à l'apprentissage. Ainsi, la capacité mentale attentionnelle mesurée par M constituerait-elle une des modalités d'expression de la capacité d'apprentissage de l'enfant à un âge donné.

Dans le champ de la psychopathologie cognitive, qui est le champ qui nous intéresse ici, et d'une manière plus précise encore dans le cadre des dysharmonies évolutives et des dysharmonies psychotiques associées à un retard intellectuel, nous pourrions postuler qu'une évaluation portant sur les opérateurs silencieux - les métaconstruits engagés dans le processus de développement de l'enfant - permettrait de repérer des potentialité, préservées ou non, mais qui de toute façon n'apparaîtraient pas à partir d'une évaluation classique. L'intérêt évident d'une évaluation portant sur ces opérateurs silencieux réside dans le postulat de l'indépendance de leur maturation à l'égard des conditions d'un environnement généralement défaillant dans le contexte clinique qui concerne les patients pour lesquels une orientation vers l'intégration scolaire est proposée.

Une étude comparative des performances obtenues à partir de mesures portant sur les opérateurs de développement et les performances produites à partir d'une échelle de développement de conception classique (échelle d'intelligence de Wechsler, K-ABC, etc.) permettrait d'appréhender certaines des caractéristiques fonctionnelles, peut-être spécifiques, liées aux troubles de l'apprentissage s'intégrant dans les retards de développement observés dans le contexte clinique de l'intégration scolaire. Le recours à des outils d'évaluation s'écartant des conceptions classiques de l'évaluation développementale introduirait une lecture nouvelle des difficultés d'apprentissage présentées par cette population clinique.

Dans le chapitre précédant, nous avons établi que le protocole préconisé par Gibello B. (1983) dans le but d'évaluer les contenants de pensée cognitifs à partir d'une distinction entre les performances intellectuelles et les compétences cognitivo-intellectuelles, ne permet pas de rendre compte du caractère dysharmonique du développement des enfants bénéficiant de l'intégration scolaire. Dans une perspective critique, nous avons envisagé la manière dont cette démarche, qui repose sur une distinction entre les notions d'intelligence et de raisonnement, n'a pas de réel fondement épistémologique et ne permet pas une évaluation de compétences préservées dans le cadre des retards mentaux chez l'enfant. En prolongeant la réflexion dans ce sens, il est possible d'envisager que la mise en évidence possible d'un écart entre des capacités préservées au niveau des opérateurs de développement et des performances cognitives déficitaires aux tests classiques, révèlerait la nature véritablement dysharmonique des profils cognitifs.

Par ailleurs, une exploration cognitive s'inscrivant dans une telle démarche montrerait qu'une appréhension des différences interindividuelles à partir d'une approche fonctionnelle des composantes du système cognitif est, d'une part possible, et d'autre part une étape indispensable à la réflexion portant sur l'optimisation des situations d'apprentissage aux regard des caractéristiques des sujets.

Notes
200.

Pascual-Leone J. (2005), "L'intelligence en développement chez l'enfant normal et précoce : l'espoir de Binet est-il devenu une réalité ?", colloque international sur : L'intelligence de l'enfant, sous l'égide de la Fédération Française des Psychologues et de Psychologie, Paris, du 6 au 8 octobre 2005, Palais de la Mutualité.