2.6. Conclusion de la deuxième partie : hypothèses de recherche.

Ainsi, au terme de la première partie, était-il possible de formuler l'objectif général de ce travail : entreprendre une étude descriptive des caractéristiques cognitives des enfants bénéficiant du dispositif d'intégration scolaire pour étudier la nature des contraintes exercées par les processus psychopathologiques sur les opérations de pensée. Sachant que l'étude des liens de continuité entre processus psychiques et processus cognitifs constitue le paradigme à l'intérieur duquel il doit être possible de penser un dispositif d'accompagnement se situant au carrefour du pédagogique, de l'éducatif et du thérapeutique.

En ce qui concerne la première partie de l'objectif ; l'évaluation diagnostique des troubles cognitifs doit permettre d'explorer deux directions :

Pour répondre à la deuxième partie l'objectif, il n'est pas suffisant de se contenter de la seule lecture quantitative issue de la psychologie différentielle et cognitive. Il est en effet nécessaire de dépasser l'étape de l'évaluation des performances cognitives pour élargir le champ de la recherche jusqu'aux pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelle.

A partir d'une l'illustration clinique, nous avons mis en évidence qu'il n'existe ni hiérarchie, ni indépendance entre l'intelligence et l'affectivité. La seule approche cognitive conduirait à séparer les états mentaux de leurs contextes corporel et social, et à mettre en avant un "sujet cognitif" isolé de l'expérience subjective qui sous-tend son développement. Du point de vue des recours thérapeutiques, nous constatons actuellement qu'une telle conception ne peut conduire qu'à la mise en œuvre d'une toile de fond orthopédique sur laquelle viennent s'imprimer les contours d'une approche uniquement fondée sur les modèles de la compensation et de la rééducation.

Pour atteindre l'objectif fixé, il apparaît donc nécessaire d'élargir le champ d'exploration des troubles cognitifs au domaine plus général des pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelle. S'engager dans cette voie suppose de pouvoir s'appuyer sur une théorie psychanalytique de la pensée, qui permettrait d'inscrire l'analyse les productions intellectuelles réalisées par les enfants dans le cadre plus général des enjeux narcissiques et objectaux qui sont mobilisés lors de la mise en jeu des processus cognitifs.

Nous avons recherché dans le modèle proposé par Gibello B. un cadre théorique qui permette de lier les questions inhérentes à l'évaluation cognitive avec une approche psychanalytique de la pensée. Les travaux de Gibello B. s'intéressent aux dysharmonies cognitives, ces troubles qui portent sur les dyspraxies, les dyschronies, les dysgnosies tels qu'ils peuvent apparaître à l'EPL ou au WISC et qui sont mis en lien avec des carences précoces, de toutes natures, de l'environnement.

Il apparaît que ce modèle ne permet pas de rendre compte de la dimension dysharmonique de notre population qui, à partir de la classification proposée, se retrouve confinée au rang de la déficience mentale sans que soit véritablement analysée la nature des liens structuraux entre processus cognitifs et processus psychopathologiques. Cette approche qui s'inscrit dans la continuité du structuraliste piagétien, intégré à une approche psychanalytique des contenants de pensée, ne livre pas les outils conceptuels qui permettraient de mettre en évidence le caractère dysharmonique des profils cliniques et cognitifs de cette population. Pour mettre en évidence et établir la dimension dysharmonique qui caractérise les tableaux cliniques des enfants qui bénéficient de l'intégration scolaire, il faudrait pouvoir montrer qu'ils conservent, malgré des performances déficitaires, des capacités d'apprentissage remarquablement préservées dans ce contexte nosographique.

Le paradigme néostructuraliste nous permettra de contourner cette difficulté. En postulant une double architecture du système cognitif, nous avons vu que ce courant théorique invoque la participation, au cours du développement, de déterminants fonctionnels liés à la maturation de l’organisme, indépendants des situations d’apprentissage. Une démarche centrée sur ces opérateurs fonctionnels, à côté d’une approche analytique concernant le repérage de structures d’organisation des connaissances acquises par l’enfant au cours de son développement, nous permettrait certainement d’apporter un contenu théorique et méthodologique quant à l’identification d’indicateurs de potentialités d’apprentissage préservées qui n'apparaissent pas à partir d'une évaluation classique.

Une telle démarche inclut évidemment un point de vue étiopathogénique. Elle postule en effet que les facteurs d'environnement exercent une influence indéniable sur la genèse des dysharmonies psychotiques et des dysharmonies évolutives 201. Pour étudier la manifestation des effets de l'environnement à travers les troubles dominants des fonctions cognitives et instrumentales, une prise d'appui sur les données issues des neurosciences ou des sciences cognitives s'impose. Cette démarche n'est pas incompatible avec le maintien d'une orientation psychodynamique, voire même, elle est incontournable lorsqu'il s'agit d'explorer les relations d'emboîtements réciproques entre processus cognitifs et processus psychiques.

Ainsi, est-il possible de décliner les hypothèses de la recherche comme suit :

  1. Hypothèse 1: S'il existe des liens de continuité entre les processus psychopathologiques et les processus cognitifs mis en jeu par les enfants concernés par l'intégration scolaire, alors une étude descriptive des caractéristiques cognitives de cette population pourrait révéler des profils cognitivo-intellectuels spécifiquement liés aux entités nosographiques identifiées dans ce cadre clinique. Bien entendu, la mise en évidence de profils cognitifs n'est pas suffisante pour révéler la nature essentiellement psychopathologique des troubles du développement présentés par les enfants. Pour cela, il faudrait mettre à jour des capacités préservées, sous-jacentes au processus cognitifs complexes. D'où l'hypothèse 2.
  2. Hypothèse 2 : Si les retards intellectuels révélés par ces enfants s'inscrivent sur un fond psychopathologique complexe et intriqué, il doit être possible - en s'appuyant sur la théorie des opérateurs constructifs - de fournir une mesure qui permette de révéler des potentialités qui restent préservées et qui n'apparaissent pas dans les mesures effectuées à partir des échelles classiques du développement de l'intelligence. L'écart observé entre les faibles performances cognitives et les potentialités d'apprentissage préservées révèlerait une composante dysharmonique qui n'apparaissait pas dans le cadre du modèle proposé par Gibello B. (1984). Dans ces conditions :
  3. Hypothèse 3 : Si la composante dysharmonique est vérifiée, il doit être possible de mettre à jour, à partir d'un matériel clinique et en s'étayant sur une théorie psychanalytique de la pensée, la nature des liens de continuité entre processus cognitifs et processus psychopathologiques. L'identification des liens dynamiques entre ces différentes formes de processus permettra de dégager des éléments importants pour définir les orientations essentielles d'un cadre de soin qui doit se situer au carrefour du pédagogique et du thérapeutique. Cette démarche permettra ainsi que s'opère un travail d'appropriation d'un cadre de pensée, qui pourra ensuite être transmis, qui participera à l'établissement du cadre de soins.

En effet, une institution de soins qui a pour projet d'accompagner le travail de subjectivation des enfants qui lui sont confiés peut-elle faire l'économie de cette question pour elle-même ? A travers cette démarche, nous souhaitons également amener un groupe de soignants à s'organiser en une institution à l'identité thérapeutique établie et clairement reconnue. Il s'agit au fond de permettre à cette institution de poursuivre sa tâche avec les patients qui y sont accueillis en accord avec un projet thérapeutique dans lequel les soignants se reconnaîtront et qu'ils voudront s'approprier ?

D'un point de vue méthodologique, dans la continuité d'Hochmann202 J. (1996), nous plaiderons pour un dualisme méthodologique. Ce que nous venons d'exposer suppose en effet deux approches distinctes bien que complémentaires : une approche cognitive s'étayant sur la méthode expérimentale ; une approche clinique se nourrissant d'une pratique quotidienne. L'une appartenant aux sciences du général, l'autre puisant sa substance dans la singularité de la rencontre. Ces deux approches ne s'intéressent évidemment pas au même niveau du fonctionnement mental : celui des mécanismes de production et des systèmes de traitement de l'information pour les sciences cognitives ; celui du sens pour l'approche clinique et psychopathologique.

Dans le cadre des deux parties qui prolongent maintenant ce travail, il s'agira de rechercher les points de passage entre ces deux voies méthodologiques qui seront successivement empruntées en deux temps. La troisième partie sera le temps de l'évaluation des compétences cognitives : science du général, elle s'appuie sur une méthodologie propre à l'approche expérimentale. La quatrième partie sera le temps de l'élaboration des liens de continuité entre les processus cognitifs et les processus psychopathologiques : science du singulier, elle étaye son approche à partir de la clinique pour que puisse être penser les processus de pensée mis en jeu par les enfants.

Commençons donc par l'évaluation des compétences cognitives.

Notes
201.

Même s'il importe de toujours situer les troubles psychopathologiques en interaction avec d'autres paramètres d'ordre neurobiologique qui participent nécessairement à l'organisation de la vie mentale.

202.

Hochmann J. (1996), "Arguments pour un dualisme méthodologique", in Psychanalyse, neurosciences, cognitivismes, Revue Française de psychanalyse, Paris, PUF, p. 51-60.