Troisième partie : L'évaluation des compétences cognitives

‘"Sous l'apathie générale s'était cachée une mobilisation ponctuelle,
maintenue et développée en silence, l'aidant à passer sa longue nuit. 203 "
Henri Michaux’

La pédopsychiatrie est actuellement traversée par un débat important : alors qu'elle a généralement eu pour projet d'accompagner le travail de subjectivation des enfants qui lui sont confiés, sa démarche est aujourd'hui remise en question par le retour des modèles médicaux classiques. Ces modèles connaissent en effet un renouveau grâce aux recherches effectuées ces trente dernières années dans les champs des neurosciences et de la psychologie cognitive qui, à partir d'une démarche objectivante, remettent au goût du jour une sémiologie descriptive valorisant le symptôme et le comportement au détriment souvent d'une analyse des enjeux subjectifs qui leur donne sens.

Si l’on s’en tient à l’écume des choses, le débat s‘est actuellement radicalisé et la guerre fait rage entre deux camps : une psychologie du déficit contre une psychologie du sens. Or, à y regarder de plus près, cette guerre reflète assez peu la réalité des évolutions en cours et ne donne qu’une image assez caricaturale de la psychologie actuelle. Aujourd’hui par exemple, des psychanalystes reconnus, tels que Hochmann J. ou Golse B. (2006), acceptent sans crispation de croiser les données psychanalytiques, cognitives et neurobiologiques204. On peut citer également Widlöcher205 D. (1996), qui a ouvert depuis longtemps un dialogue entre psychanalyse et neurosciences, ou encore, dans une moindre mesure, Green206 A. (2006) qui note, dans un ouvrage encore récent, qu’il s’est produit une profonde évolution des pratiques psychanalytiques depuis le début des années deux mille, et que le modèle canonique de la cure n’est plus le modèle exclusif.

Un grand nombre de praticiens sur le terrain font maintenant preuve d’une approche plus éclectique et s’orientent vers l’intégration théorique de pratiques cliniques parfois assez éloignées. Des professionnels de différentes obédiences se côtoient dans les institutions de santé et confrontent leurs points de vue, partagent l’analyse de situations cliniques, cherchent à créer des ponts ou plaident pour un pluralisme explicatif. D’un point de vue théorico-clinique, les positions ne sont pas aussi tranchées que ce qui apparaît à travers le débat social, comme c'est actuellement le cas pour l’autisme infantile par exemple. En effet, dans le cadre de l’autisme, alors que l’écho médiatique pourrait laisser croire qu’il existe une opposition radicale entre des familles prônant le tout éducatif, et des professionnels de la pédopsychiatrie défendant le tout thérapeutique, il apparaît sur le terrain une situation beaucoup plus contrastée et nuancée, où le thérapeutique et l’éducatif concourent à un même objectif : le bien-être de l’enfant.

Dans un autre domaine que l'autisme, l’approche clinique de l’évaluation intellectuelle constitue également un des champs de travail où ce mouvement de convergence entre différents modèles est actuellement bien illustré. C’est à l’intérieur de ce champ de travail que s’inscrit la recherche que nous présentons. Il concerne l’évaluation cognitivo-intellectuelle d’enfants présentant de graves difficultés d’apprentissage. Plus largement, il s'intéresse au domaine des retards de développement de l'enfant et des troubles de l'organisation de la pensée qui leur sont associés. Dans ce contexte psychopathologique, un désaccord subsiste concernant l’étiologie des troubles et le caractère fixé ou non des profils déficitaires présentés par les enfants. En fait, si un accord assez large peut-être établi autour de définitions purement descriptives, la discussion porte essentiellement sur les conceptions sous-jacentes à la lecture de ces troubles à travers un débat qui remet en scène l'opposition organogenèse – psychogénèse. Dans les pages qui suivent, nous participerons à ce débat car nous souhaitons y apporter des éléments nouveaux et enrichir les connaissances actuelles portant sur les troubles cognitifs liés aux pathologies de la personnalité.

Notes
203.

Michaux H. (1983), Les commencements, Paris, fata morgana.

204.

In Perron R. (2006), Psychanalystes, qui êtes-vous ?, Paris, InterEditions.

205.

Widlöcher D. (1996), Les nouvelles cartes de la psychanalyse, Paris, Odile Jacob.

206.

Green A.dir. (2006), Unité et diversité des pratiques du psychanalyste, Paris, PUF.